Invocation

 

 

Âme, souffle, esprit de feu

       Fait par Dieu,

Toi qu’on appelle génie,

Toi qui rends presque éternels

       Les mortels,

Ô créateur d’harmonie ;

 

Esprit qui nous fais frémir

       Et gémir,

Hôte mystérieux, harpe

Qui jettes sans cesse un chant

       Dans le vent,

Comme des couleurs d’écharpe ;

 

Ô compagnon que la nuit

       Introduit,

Fantôme qui dans nos songes

Nous convies jusqu’au matin

       Au festin

Des rêves et des mensonges ;

 

Inspirateur inconnu,

       Devenu

Cette énigmatique idole

À qui je dois les accents

       Frémissants

Qui m’ont fait une auréole ;

 

Sculpteur qui m’as animé

       Et formé

Ainsi qu’un marbre rebelle,

Toi qui m’as donné demain

       Dans la main

Grâce à ta flamme immortelle ;

 

Toi qui m’as dicté des vers,

       Des concerts

Et des cantiques fragiles,

Des poèmes dentelés

       Et moulés

Au sein des rythmes agiles ;

 

Ne t’envole pas encor.

       Que le cor

Dont le son lointain recule

Ravive sa forte voix

       Dans le bois

Qu’envahit le crépuscule.

 

Descends, travaille en mon cœur,

       Ô vainqueur

Et tyran de ma jeunesse,

Retrouve pour cet instant

       L’éclatant

Transport rempli d’allégresse,

 

L’enthousiaste refrain

       De l’airain

Qui, musique de fanfare,

M’appelait comme un soldat

       Au combat

Avec son appel bizarre.

 

Soupire encor ! Si les cieux

       Sont trop vieux

Pour m’inspirer un poème,

Retrouve ailleurs des accords

       Assez forts

Pour une strophe suprême.

 

Ce moule créé par l’art

       De Ronsard,

Fais-en un moule de gloire,

Car il contient mon adieu,

       Ô cher dieu

Qui vivais dans ma mémoire. . .

 

Ô mes vers ! Ô temple pur

       Où l’azur

A mis sa note profonde,

Sculptures au piédestal

       De cristal

Que fera crouler le monde ;

 

Poèmes qu’avec amour

       Tour à tour

J’ai faits d’un ciseau fidèle,

Je vous délivre : partez

       Et chantez

Pour l’âme qui vous appelle.

 

Car vous êtes l’eau qui dort,

       Le foin d’or

Qui chante sous la faucille,

La gamme où court le frisson,

       La chanson

Qui mûrit et s’éparpille.

 

 

 

Adalbert TRUDEL, Sous la faucille,

Imprimerie Ernest Tremblay, 1931.

 

 

 

 

 

 

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