Pourquoi le poète écrit
Chantez, oh ! chantez, vagues de cristal,
Dentelles d’écume et replis de l’onde,
Murmure ton rêve, ô flot virginal !
Eau silencieuse et nappe profonde,
Tu ne nous dis pas ce que tes frissons
Cachent à nos yeux de troublant mystère,
Et c’est vainement que le solitaire
Cherche à retenir tes douces chansons.
Soufflez, vents rageurs et tendres zéphires,
Déracinez l’arbre ou bercez le bois,
Faites retentir vos milliers de lyres
Que touchent au loin d’invisibles doigts...
Dans les rameaux verts et les feuilles vertes,
Vous dites aussi d’éternels secrets
Qui vivent et meurent dans les forêts
Sans être compris des âmes désertes.
Aux heures qu’il rêve en écoutant Dieu,
Le poète inspiré peut seul vous comprendre,
Vous donner la vie et l’âme en tout lieu,
Rendre votre voix coléreuse ou tendre
Accessible au cœur des êtres charnels,
Et faire avec vous la phrase divine
Qui vaincra la rouille avec la ruine
Avec des accents d’amour éternels.
Mais si le destin revêt le poète
D’un rayonnement d’immortalité,
Ce n’est pas qu’il ait fait dans sa retraite
Un monument pour la postérité,
Ni qu’il ait voulu donner à ses strophes
Tellement d’éclat et de profondeur
Que leur fière allure et que leur splendeur
Triomphent du temps et des catastrophes ;
Ô souffles du vent, ô flot virginal,
S’il a dérobé votre doux murmure,
S’il en a rempli ses vers de cristal
Et s’il en a fait une chanson pure,
C’est qu’il a rêvé pendant son labeur
Où vibrait tout bas l’amoureuse lyre,
À l’intraduisible et troublant sourire
D’une frêle enfant pleine de douceur.
Adalbert TRUDEL, Sous la faucille,
Imprimerie Ernest Tremblay, 1931.