La retraite suprême
Ô chantres dont la voix anime la forêt,
De combien de mystère et d’amoureux secret
Vous entourez les nids d’où s’envolent vos trilles
La terre et l’air vibrants redeviennent tranquilles
Lorsque vous commencez vos superbes concerts,
À peine exhalent-ils un timide murmure
Qui passe à coups furtifs dans les bois entr’ouverts
En harmonieuse mesure.
Mais vous ne savez pas combien est près de vous
Le poète, cet homme au langage si doux
Que le monde étonné dit tout bas que son âme
Est comme celle-là que Dieu fait à la femme.
Non, vous ne savez pas avec quel soin pieux
Il trace vers à vers le plus petit poème,
Et comment il choisit, pour entendre les cieux
Parler, sa retraite suprême.
Il laisse loin de lui les populations,
Il cherche comme vous son ombre et ses rayons
Dans le calme et la paix d’une voûte ignorée,
Où ne se heurtent pas, ainsi qu’une marée
Au clapotis brutal, les propos révoltants
De tous les envieux, le mépris du profane
Et le sarcasme amer des rires insultants
Au sein d’un monde qui ricane.
C’est un homme meurtri par les autres humains
Qui franchit tout à coup la borne des chemins
Et qui va mendier en secouant sa chaîne
Un abri protecteur. Et peu à peu, la haine
Se retire et s’éloigne ainsi que le reflux.
Alors, l’être apaisé par un doux sortilège,
Oublieux des mortels qui ne s’acharnent plus,
Murmure tout bas : « Reviendrai-je ? »
Mais le poète, au sein du silence profond,
À travers les rameaux qui lui touchent le front
Sent filtrer goutte à goutte une gamme sonore,
Comme si quelque dieu remplissait une amphore
Avec une rare et précieuse liqueur.
Et l’ouvrier, dont le ciel a fait un génie,
Revient, sourit, et verse au fond de chaque cœur
Une inexprimable harmonie.
Adalbert TRUDEL, Sous la faucille,
Imprimerie Ernest Tremblay, 1931.