Avant la floraison
Des moires de printemps, des mares de soleil,
Irisent la muraille ;
L’Astre-Roi des Saisons, en son éclat vermeil,
A des tons de grisaille.
Il dore le sol nu, l’Histoire, le Passé,
D’étranges rutilances :
L’on se demande en vain si cet or entassé
N’est pas la Souvenance.
Que c’est beau, clair, vivant ! Ce gris-blond nous émeut
Autant que la verdure :
Le Désir est plus libre, exalte ce qu’il veut,
Absorbe la Nature.
C’est l’Espoir rajeuni qui montre sa couleur,
Son ardeur qui pétille,
C’est la sève qui bout, c’est le grain créateur
Que le Maître éparpille !
Ce sont les limbes d’or où l’âme de l’Été
Attend sa délivrance,
Son nimbe rutilant, son panache bleuté
Qui reluit à l’avance !
C’est enfin le Printemps, vignoble du Seigneur,
Qui nous met en ivresse,
Verse même au vieillard, à sa vieille douleur,
Le vin de la jeunesse !
Mais c’est Lui, le bon Dieu, qui lui prête son ciel,
Pour reblondir la Terre,
C’est Lui qui nous recrée, immisce l’Irréel
À la sombre Matière !
Et la ride s’estompe, et l’Amour nous étreint,
Et l’on n’est plus le même,
L’on recueille partout, même en le gris chemin,
Des bribes de poème !
Et d’invisibles chœurs font chanter l’horizon,
Sur leurs lyres nouvelles ;
Ils résonnent en l’âme, où même la Raison
Se sent comme des ailes !
L’on songe que le ciel suivra les froids autans
De notre humaine vie
Et, de cette lueur de l’éternel Printemps,
L’on goûte l’ambroisie !
Et malgré les cheveux qu’ont blanchis les hivers,
L’âme espère, s’enflamme,
Et malgré les temps gris, les modernes revers,
L’on rêve, l’on se pâme !...
Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.