Nocturne
J’ai vu passer la nue à travers la nuit bleue,
Elle filait rapide en la céleste lieue ;
Son vol baisait la lune et les étoiles d’or,
Mais ne s’arrêtait pas à leur brillant décor.
Ses neigeuses clartés, mystiques avalanches,
Que nouaient parfois ses effilochures blanches,
Cinglaient vers l’Inconnu, vers l’Ombre ou le Néant,
Vers d’ultimes soleils, quelque gouffre béant.
Je sentis battre en moi les ailes que soulève
Ce qui transporte l’âme et fait bondir le Rêve...
Ce souffle qui, sur terre, est comme un vent du ciel
Qui nous pousse vers Dieu, vers l’Immatériel,
Ce souffle qui s’en vient de l’immortel Poème
Qu’allume en chaque cœur le Créateur lui-même,
Ce souffle en ouragan gonfla si bien mon vol
Qu’à cet instant je crus enfin quitter le sol !
Haletant, l’œil en feu, mon violent Pégase
Franchit l’espace clair et, dans sa blanche extase,
Panaché de nuage, il humait le ciel pur,
Son silence scabreux, ses abîmes d’azur !
Il buvait l’Incréé de cette aube nocturne,
De ce Thabor fuyant vers l’ombre taciturne,
Au clair de ses splendeurs, espérait même voir
Celui qui créa l’Onde, et le jour et le soir !...
Ô songe !... Il nous fallait tous les deux redescendre,
De ces mille rayons, ne tenant que la cendre,
Quand le Symbole ami de nos humains émois,
Entre l’Ombre et l’Espoir, fit entendre sa voix :
« Âme, dit-il et toi, Muse, à cette âme chère,
« Consolez-vous : les jours où vous pleurez sur terre
« Tels ce nuage qui s’envole par les cieux,
« Sans reposer son aile à ces nocturnes feux,
« Ces jours, sans s’arrêter à l’impalpable Joie,
« Dont la magique étoile, en leur route flamboie,
« Cinglent vers l’Absolu, la blanche éternité,
« Où nul rayon n’échappe, où règne la Beauté !
Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.