Il vente nord-est

 

 

                                         En été, à la campagne

 

 

L’aquilon doux et reposant

Qui, dans la campagne, se pâme,

Baise le front du paysan.

Enveloute et grise notre âme.

 

Ivre d’air, d’espace, d’azur

Et comme effaré de lui-même,

Il vient en cet asile pur,

Reposer son aile bohême.

 

Fier pèlerin de l’au-Delà,

Il en rapporte tant de choses

Qu’il verse en nous une gala

De sonores apothéoses :

 

Orage de paix et d’échos

Qui déferle ses flots de mousse,

Averse d’ultimes sanglots

Que comprend seul le blé qui pousse !

 

Est-ce le balancier du Temps

Que rythme ainsi son envolée

Ou l’âme fière des Titans

Qui hallucine la vallée ?

 

Sont-ce nos bonheurs anciens

Qui viennent pleurer à nos pertes ?

Sont-ce les magiques lointains

Dont se précisent les cohortes ?

 

Vient-il de l’inconnu Terroir

Où dort Avril et Juin se pare ?

Est-ce la fuite de l’Espoir

Dont le fantôme blanc l’effare ?

 

Nul ne le sait... Sa vaste voix

Paraît surprendre la campagne,

Et le silence aux mille émois

À la sourdine, l’accompagne.

 

Il court, vole en l’immensité,

Et ses mille bras nous enlacent.

Et les effluves de l’été

Inondent le sol et l’espace !

 

Tous les avrils, tous les juillets,

Chantent en son hymne de flamme,

Il sabre l’orge et le millet,

En fait jaillir mille dictames !

 

Et des vagues d’enivrement

Déferlent leurs flots d’ambroisie,

Et des reflux d’apaisement

Bercent notre âme endolorie !

 

Et l’on plonge notre douleur

En leurs fluides avalanches,

Et l’on aère notre cœur

Au souffle vert de chaque branche !

 

Dans ces remous de l’Infini,

Pégase écume et bat de l’aile,

Aux blondes Muses, fait un nid

Où le Poème s’amoncelle.

 

Tel le bourg qui semble achever

Son lent envol vers le nuage,

L’on croit soi-même s’élever

Avec le sombre paysage.

 

Et, quand on prie en le Saint-Lieu,

L’Invisible fait la lumière,

L’on croit ouïr le Seigneur-Dieu

Parler dans l’ombre et le mystère !

 

Ainsi votre parler aux rustiques échos,

    Fiers paysans, ô Rois du monde,

Insère le Rayon en l’ombre de vos mots,

    S’imprégnant de lumière blonde.

 

C’est parce qu’on ouït en votre rude voix

    L’agreste voix de la Nature

Qu’y chantent le métier, l’héroïque Autrefois

    Qu’on en aime l’âpre murmure.

 

Il est tant d’Incréé parmi vos jugements

    Qu’ils en conservent l’ambiance,

Il coule en vos regards comme en vos mouvements,

    Un flot de paix et de silence.

 

Il semble que la vie, empreinte d’Irréel,

    Garde pour vous son bleu sourire

Et, quand je dois voler vers le Matériel,

    Je chante en pleurant sur ma lyre :

 

« Paysans, je voudrais habiter votre ciel ! »

 

 

 

Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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