Serais-tu l’olifant ?

 

 

                                                     Aux chers disparus

 

 

Serais-tu l’olifant de la Grande Aventure,

Locomotive en mal d’escalader les cieux,

Ton cri strident, ta quinte au sein de la Nature,

En seraient-ils l’appel, les sonores adieux ?

 

On les entend au loin, et l’âme du Voyage

Qui semble s’échapper de ton sein haletant,

S’incarne dans la nôtre, et le vaste ramage

Des envols suspendus nous submerge à l’instant.

 

Et, quand une âme aimée a quitté notre terre,

On croit ouïr sa voix en tes puissants échos,

Que, du gouffre de l’Ombre ou de l’humain Mystère,

Elle jette dans l’air de suprêmes sanglots.

 

Antenne ou médium des éternelles Ondes,

Ton cri semble une plainte, un appel de secours,

Il ne vient pas du ciel, ni non plus de ce monde,

Paraît se joindre aux chœurs des funèbres séjours !

 

Panache de fumée, aile apocalyptique,

Tu fuis vers l’horizon, en es-tu le héraut ?

Tu suffoques, bondis, ton élan dynamique

N’est qu’un halètement, un vaste soubresaut !

 

Qui te hèle, t’attire ? En toi, quelle tempête

Rythme ton cœur de flamme et tes gonds déchaînés ?

Quelle plage lointaine et quel suprême faîte

T’assignent qu’en leur sein des abîmes sont nés ?

 

Quels êtres fabuleux, quelle tragique errance

De nos rêves défunts happent tes noirs essors ? Quel fantôme égaré, quelle ultime présence

Te frôlent, s’en venant du Royaume des Morts ?

 

Serait-ce leur esprit qui hante notre globe,

Hallucine l’Écho, même erre parmi nous ?

Serait-ce le passé qui soudain se dérobe,

Rebondit de son Gouffre en de puissants remous ?

 

Il est d’autres rappels, des accords d’autres lyres, Que chante ton refrain nostalgique, éperdu ;

Il fait à notre exil d’exotiques sourires

Auxquels, hélas ! souvent l’on n’a pas répondu.

 

Il appelle, j’écoute et me sens en allée

Vers les chers disparus, le magique Autrefois,

Ma Muse bat de l’aile et croit qu’en la vallée,

Leur chère ombre prend corps une seconde fois.

 

Eh ! non, ta voix s’éteint et mon rêve avec elle...

Mais ton vol effréné de dragon qui s’enfuit

A fait jaillir en moi la lyrique étincelle,

Me laisse pantelante en ma terrestre nuit.

 

Nous aimons toutefois étrangement l’emblème

De ta course semblable à la nôtre ici-bas ;

Nous aimons ton bruyant, ton fugitif poème

Qui soudain vient sourire à nos âpres combats.

 

Voyageurs devant Dieu, pèlerins de la Vie,

Nous volons vers la Mort et vers l’éternité ;

À travers, comme toi, les brouillards et sa lie,

Nous filons vers les cieux avec rapidité !

 

Monstre ailé, crache encor ton âcre poésie :

Ton Symbole soutient notre fragilité !

 

 

 

Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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