Ombre et rayon
I
En mon âme parfois sanglotent mes vingt ans...
Car midi va sonner au beffroi de ma vie,
Et je sens déjà sourdre en moi la nostalgie
Des avrils en allés où s’en vont les printemps..
Tels leurs ultimes glas, les sinistres autans
Des automnes humains, en leur proche furie,
Ont pour moi claironné la troublante Élégie
Des sillons au front pur, des cheveux gris ou blancs !
Tout mon passé s’ébroue et reflue en mon âme ;
Il mêle son antienne à ma nouvelle flamme
Et fait comme un couchant de mon mauve midi !
J’ouïs vivre la Mort, je l’entends qui s’avance...
La Vieillesse est son Temple, et son sceptre agrandit
Chaque jour en ses rangs le cercle de l’absence...
II
Que dis-je ?... Le rayon de ma flambante Foi
N’empêchera-t-il pas que mon Rêve se rouille,
Que le Regret me navre et que mon œil se mouille,
En voyant s’approcher le funèbre convoi ?
Mais... la vieillesse, c’est l’Espérance qu’on boit
À même la Source où jamais l’eau ne se souille,
C’est l’Avent du Bonheur, c’est la blanche patrouille
Qui guette le moment où sombre sa paroi !
C’est la pause avant l’hymne !...En mes vieilles années,
Pleurerai-je la Vie aux vingt roses fanées
Et, fantôme prochain, bouderai-je les Cieux ?
Non, mon Rêve vainqueur fixera la Lumière
Qui l’attire et que, seuls, peuvent mieux voir les vieux,
Puisque, proches du Ciel, ils délaissent la Terre !
Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.