Le quêteux
Il s’en va, le quêteux, le long du grand chemin,
Il s’en va, sac au dos, le bâton à la main ;
Le front sombre et rêveur, on dirait qu’il écoute
Ce que rythme son pas, ce que chante la route.
Ivre d’air et d’azur, de chaleur ou de froid,
Par les sentiers déserts ou le chemin du Roi,
Il s’en va, pèlerin de l’éternel Voyage,
De clocher en clocher, de village en village.
Ses habits sont râpés, il n’a pas de maison.
Mais possède l’espace, habite l’horizon,
Pasteur de la Chimère, il fuit vers la colline
Que la brume revêt d’un pan de mousseline.
Et, frère du nuage, emmi neige et grésil,
Il parcourt comme lui le chemin de l’exil,
Il vit de poésie, en ignorant la rime,
Et ses haillons de hère ont des reflets de cime.
Or l’aile des Départs vers d’inconnus Ailleurs
S’envole de ce gueux pour s’ébattre en nos cœurs ;
L’on voudrait comme lui cheminer par la terre,
S’en griser des rayons, plonger en son mystère.
Mais l’on ne songe pas combien il est cruel
De mendier son pain, en échange du ciel
Qu’il recueille pour nous par les monts et les grèves
Pour le donner ensuite en pâture à nos rêves.
Béni soit toutefois ce lyrique courrier
Que transmet aux mortels ce sombre aventurier !
S’il faut replier l’aile, un étrange poème
Émane comme à flots de son ombre bohême !...
Béni soit toutefois ce lyrique courrier !
Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.