Pour les rustiques
À Rémi Dimpre.
Sur la route grise, il est un calvaire
Qui lance les bras d’un geste éternel,
Ses bras décharnés dans l’azur du ciel
Du haut de son tertre à l’aspect sévère.
Un arbre sans fleurs le couvre toujours,
Voici tout au plus vingt ans qu’il existe
Solitaire ainsi qu’un ermite, et triste
Ainsi qu’un tombeau d’anciennes amours.
Et là bien souvent, sur la terre brune,
Le front dans les mains, j’ai longtemps rêvé ;
Et je regardais, sous le clair de lune,
Un bleuet des champs que j’avais trouvé.
Encore aujourd’hui, malgré qu’il se fane,
Je pose, tremblant, ma lèvre à ses bords
Et dans son parfum de fleur paysanne
Je crois respirer la vertu des morts.
Ô bons paysans, soldats de la glèbe,
Vous avez gardé la croyance au bien ;
Si Rome autrefois vous nommait la plèbe,
Je veux comme vous être plébéien.
Nous avons acquis, nous autres des villes,
Des instincts affreux et de noirs désirs ;
Nous accepterons les lâchetés viles
Pour nous procurer un peu de plaisirs ;
Devant les plus forts nous courbons la fête
Et nous dédaignons les moins forts que nous
Le « viveur » chez nous, laisse voir la bête...
Vous savez aussi tomber à genoux
Mais c’est devant Dieu, dans l’humble chapelle,
Les yeux éblouis par les cierges clairs
Lorsque l’Angelus des champs vous rappelle,
Que vous abaissez vos grands yeux si fiers ;
Vous avez l’espoir au fond de votre âme. ;
L’espoir triomphant, jamais abattu ;
Toujours droite et pure ainsi qu’une lame,
Vous avez au cœur l’ardente vertu ;
Chez vous, sans faiblir subsiste la face,
La sève chez vous est encor vivace ;
Si notre pays subissait l’arrêt
Dé tomber aux mains d’un soudard profane,
Encore aujourd’hui comme aux temps de Jeanne,
C’est un paysan qui le sauverait.
Et dans l’heure sombre où l’on désespère,
Tous les laboureurs, au pied du calvaire,
Garderaient leur poudre et leur fusil prêt.
Julien VAILLANT.
Paru dans La Jeune Picardie en 1900.