Mes sonnets à la saison grise
I
Le Temps verse l’éther sur l’Automne à foison.
L’espace s’en veloute et le ciel lourd et sombre
Semble s’unir au sol ; l’ombre se mêle à l’ombre,
Enveloppe le jour de sa noire toison.
Le Rêve et le Silence étreignent l’horizon,
La Tristesse s’incarne emmi cette pénombre :
Diurne, étrange nuit, du firmament qui sombre,
Mirage, bleuité, fluide flottaison.
D’où vient qu’en cet éther que nul antan ne glane,
L’Automne, cœur du Temps, filtre ainsi sa douleur ?...
C’est que ton âme, ô neige, en ses nuages, plane...
De même, en notre exil, il est une blancheur,
Assombrissant l’azur de nos cœurs faits pour elle :
C’est la blanche Clarté de l’Aurore éternelle !
Automne 1930
II
J’ai vu de près l’Automne en sa mauve splendeur :
À l’Orient, par zone, éclairant ce qu’il brouille
De son tiède soleil, aux ocres de sa rouille,
Il versait l’Infini de sa fauve blondeur.
À l’Occident, soudain, tout l’invisible pleur
Qui suinte en l’univers : en l’horizon qu’il mouille,
En les plaines, les monts, en leur morne dépouille,
Semblait, golfe d’éther, déborder de son cœur.
Tout proche de mon âme, ivre d’apothéoses,
Lourd de silence, d’ombre et d’aurores moroses,
Il s’avançait planant sur toute la cité !
À tout ce qu’il voilait, à tout ce qu’il immole,
Il disait triomphant : « Tout n’est que vanité,
Hors l’amour du Très-Haut et mon grave symbole ! »
Automne 1933
III
L’ombre était solennelle, immense, grise, nue.
L’Automne, le Néant, l’Incréé, comme à flots,
Écrivaient dans son sein d’énigmatiques mots
Qu’épelait vainement ma Muse tout émue.
Le Silence glanait chaque bruit de la rue ;
L’humaine Nostalgie aux appels sans échos
Et dont nul ici-bas n’apaise les sanglots,
Semblait seule y bramer de sa voix éperdue.
Mille grises clartés, mille blancs tourbillons
Qu’on eût dit, de ce jour, la cendre des rayons,
De leur rythme frileux, affolaient l’Heure austère !
Ombre automnale qui, par contre, en les Chez Nous,
Ravives du foyer la flamme hospitalière,
J’adore ton poème à la fois sombre et doux !
Octobre 1935
Emma VAILLANCOURT, De l’aube au couchant, 1950.