Baiser
Depuis que devant Dieu je t’ai donné ma foi
Et que je suis ta femme à la face du monde,
Voici le premier jour, ô tristesse profonde,
Où je m’endormirai sans un baiser de toi.
Ce soir, lorsque j’ai fait en pleurant ma prière,
Je n’ai pas pu poser mon front sur tes genoux ;
Mes yeux, en s’entrouvrant demain à la lumière,
Ne verront pas le ciel dans tes yeux clairs et doux...
Comme l’âme au bonheur est vite accoutumée !
Je me croyais heureuse en vivant autrefois
Sans chercher ton regard, sans entendre ta voix,
Sans connaître ton cœur et sans en être aimée ;
Depuis, j’ai savouré d’ineffables sommeils
Dans tes bras caressants, sur ta poitrine aimante ;
J’ai connu les langueurs des beaux rêves d’amante.
Et les ravissements de nos tendres réveils,
Mais pour apprécier, dans sa toute-puissance,
L’amour envahissant dont je subis la loi,
Il fallait qu’en un jour de tristesse et d’absence
Je doive m’endormir sans un baiser de toi !
Marie de VALANDRÉ.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.