Le bal

 

 

Heureux temps, où j’aimais la danse pour la danse ;

Où, la veille d’un bal, durant la nuit, mes yeux

Voyaient, demi-fermés, se former en cadence

              Mille groupes joyeux !

 

Où mon réveil était un bonheur, un délire,

Où la première alors j’étais toujours debout,

Où mon cœur battait d’aise, où par un long sourire

              Je répondais à tout.

 

Où, sans savoir encor, si j’étais laide ou belle,

J’ornais mes noirs cheveux d’une riante fleur,

Sans que mon front gardât, riant et pur comme elle,

              Des traces de douleur !

 

Car j’ignorais alors que le ciel à la femme

Eût dit : « Tu grandiras pour aimer et souffrir ! »

Et qu’aimer et souffrir fût même chose à l’âme,

              Et fît toujours mourir.

 

Heureux temps, où mes pieds, dans leur folle vitesse,

Semblaient ne pas poser sur le parquet glissant,

Où mes regards, n’ayant ni langueur ni tristesse,

              Trouvaient tout ravissant ;

 

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,

Du regard un regard, d’une main une main ;

Où le bal le plus beau, pour mon âme oublieuse.

              Était sans lendemain ;

 

Où jamais au retour, une pensée amère,

N’ayant entremêlé de pleurs un court adieu,

Je m’endormais, donnant un baiser à ma mère.

              Une prière à Dieu !

 

Que l’on m’eût dit alors : tu deviendras rêveuse.

Puis triste, toujours triste, et j’aurais ri longtemps,

Sans comprendre qu’on pût se trouver malheureuse

              Plus de quelques instants !

 

Car ma jeune âme était paisible comme l’onde

Sur laquelle un beau jour avant l’orage a lui,

Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde

              Pour moi n’était pas lui !

 

 

Mélanie VALDOR.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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