Vous qui passez

 

 

Vous qui passez, laissez-moi vivre d’elle ;

Je ne veux pas que vous me consoliez ;

Le seul trésor d’une douleur fidèle,

C’est de la vivre, et non de l’oublier ;

Vous qui passez, laissez-moi vivre d’elle.

 

Je sais la mort, puisque j’ai vu mourir :

Comme elle est belle et comme elle est vivante !

Comme on y voit l’éternité fleurir !

C’est l’espérance, et non pas l’épouvante.

Je sais la mort, puisque j’ai vu mourir.

 

Vous qui passez, la douleur est féconde ;

J’ai de l’amour, et non du désespoir !

Mère, je veux vous redonner au monde !

Vous ressembler, n’est-ce pas vous revoir ?

Vous qui passez, la douleur est féconde.

 

Vous qui passez, ne me consolez pas :

Mes regards vont à la vie éternelle,

Et non vers le néant où vont vos pas.

Votre gaîté n’a pas la joie en elle.

Vous qui passez, ne me consolez pas.

 

Vous qui passez, sachez qu’elle demeure ;

Elle me voit, je lui parle et l’entends.

Pour vivre en Dieu, je sais qu’il faut qu’on meure.

Laissez-nous seuls et vivez votre temps,

Vous qui passez, loin de ce qui demeure.

 

 

 

Robert VALLERY-RADOT,

L’eau du Puits : In Memoriam.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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