Désespérance
À mon amie A. M.
Tu dis vouloir mourir, et ton âme se tord
Dans les affres d’horreur où se débat ta vie,
Tant d’autres voudraient vivre et redoutent la mort,
Pourquoi la désirer ? D’où te vient cette envie ?
De ce que le soleil a voilé tout rayon,
De ce que la nuit sombre est pour toi sans étoiles,
De ce que disparaît le superbe horizon
Où te guidait ta barque au doux gré de ses voiles.
Tu vois la mer déserte et son gouffre attirant.
Dans cette obscurité les flots sont couleur d’encre.
Pour ton œil, pas de port où le salut t’attend
Et pas un endroit sûr pour y jeter ton ancre.
Et l’abîme t’appelle en t’entrouvrant ses bras.
Il ferait bon, tu crois, t’endormir dans les ondes
Et t’en faire un suaire, alors que tu croiras
Noyer tes noirs chagrins dans les lames profondes.
Ce silence éternel ne te fait-il pas peur ?
Pourtant, ce froid sommeil ne peut tuer ton âme.
Et quand la vague amère engloutira ton cœur,
Crois-tu qu’elle éteindra son immortelle flamme ?
Raisonne ta douleur, laisse passer la nuit,
Relève ton courage, espère dans l’aurore,
Car le vent du malheur est une ombre qui fuit,
Une aube peut venir t’illuminer encore.
Si ta vie entière est un long cauchemar
Sur un lac agité où ta barque chancelle,
Dans les remous obscurs où le Doute te mord,
Ne désespère pas d’une clarté nouvelle.
Crois au beau jour divin du sublime réveil,
Extase souveraine ! Attends donc le mystère
Où se fondra ton rêve aux feux du grand Soleil,
En attendant la mort, vis ta vie éphémère !...
Westmount, 1928.
ATALA (Léonise Valois).
Recueilli dans : Atala, Fleurs tombées, Beauchemin, 1934.