Poète
À mon amie L. M. D.
Tu voudrais être un doux poète,
Tu n’en connais pas la rançon,
Si tu crois que cela s’achète
D’un peu plus ou moins de raison.
Tu croirais vivre un très beau rêve
Dans un charmant décor vermeil,
De ce que ton âme s’élève
Un peu plus haut que le soleil.
Si tu crois posséder des ailes,
Prends garde à leur fragilité ;
Comme les jolies hirondelles,
Évite la témérité.
Qu’importe les bruits de la terre,
Monte au doux gré de tes désirs,
Vers la radieuse atmosphère
Qui recueillera tes soupirs.
Laisse ton âme dans ce calme
S’abreuver de félicité ;
Que ce soit ta plus belle palme
D’atteindre à la sérénité !
Bois à longs traits le jet de flamme
Qui devra réchauffer ton cœur,
Tout en irradiant ton âme
De ces courts éclairs de bonheur.
Rien ne vaut cette heure divine
Qui nous rapproche du Bon Dieu,
Cette paix qui nous illumine,
C’est un bienfait de ce haut lieu.
Mais... prends garde à la mer houleuse,
Jalouse de ton vol vainqueur,
Et fuis loin d’elle, ô malheureuse !
Si tu ne veux noyer ton cœur.
En vain dans ses ondes amères
Crois prendre ton bain de soleil,
Tes illusions les plus chères
S’endormiront d’un lourd sommeil.
Les traîtres flots des grandes houles
Ne sont pas faits pour ton essor,
Ce ne fut jamais dans leurs moules
Qu’on put trouver les perles d’or.
Remonte au soleil de justice
Qui nous éclaire et nous conduit,
Où l’on trouve sans artifice
Le Beau, le Vrai, qui nous séduit.
Mais si pour t’y rendre, ô Mignonne !
Il te faille aux clous du chemin
Écorcher ton âme si bonne,
Prends alors ton cœur dans ta main.
Ce cœur qu’un simple rayon grise,
Qui vibre à la moindre chanson,
Dis-lui que tout son mal te brise,
Du poète, c’est la rançon !
Westmount, 1922.
ATALA (Léonise Valois).
Recueilli dans : Atala, Fleurs tombées, Beauchemin, 1934.