Le retour
Heureux ces jours de mon âge premier
Où je brillais, ange ensemble et enfant !
Avant que je comprisse cet endroit,
Désigné pour ma seconde existence ;
Ni que mon âme apprît à rien former
Qu’une blanche, une céleste pensée ;
Où je ne m’étais encore éloigné
De mon premier amour qu’à demi-lieue,
Et, me retournant, pouvais entrevoir
Une lueur de sa face éclatante ;
Quand sur la fleur, ou sur l’or d’un nuage,
Se fixaient longtemps les yeux de mon âme,
Découvrant dans ces splendeurs empruntées
Quelques images de l’éternité ;
Avant que ma langue apprît à blesser
Du son de mots coupables ma conscience,
Ou que j’eusse la malice d’assigner
À chacun des sens son propre péché ;
Mais où je sentais par toute ma chair
De brillants éclairs d’immortalité.
Que je voudrais revenir en arrière,
Et repasser par cette ancienne route !
Afin de pouvoir retrouver la plaine
Où je quittai mon glorieux cortège ;
D’où l’esprit aperçoit, illuminé,
La Cité céleste ombragée de palmes.
Mais mon âme, hélas ! trop longtemps terrestre,
Est ivre, et chancelle au long du chemin !
Certains désirent avancer toujours,
Mais je voudrais aller à reculons,
Et, quand ma cendre à l’urne tombera,
M’en retourner tel que je suis venu.
Henry VAUGHAN.
Traduit par Louis Cazamian.