La nuit
À travers cette châsse de vierge pureté,
Ce voile saint tiré sur ton midi de gloire,
Pour que les hommes puissent regarder et vivre, comme brillent les vers luisants,
Quand ils affrontent le clair de lune ;
Le sage Nicodème vit telle lumière
Qu’il en connut son Dieu au milieu de la nuit.
Oh le plus heureux des croyants !
En ce pays de ténèbres et de regards d’aveugles
Tes ailes tant attendues, apaisantes, il les put voir
Quand tu pris ton essor !
Et, chose impossible désormais à refaire,
Il s’entretint, à minuit, avec le soleil.
Oh qui me dira en quel endroit
Il te trouva, Toi, à cette heure de mort et de silence ?
Quelle terre sanctifiée, solitaire, put porter
Une si rare fleur ?
Au cœur de ses pétales sacrés reposait
La divinité même, en sa plénitude.
Nul trône d’or et de miséricorde,
Nul chérubin mort et poussiéreux, nulle pierre sculptée,
Mais Ses œuvres vivantes pour soutenir mon Dieu,
Pour seul le recueillir.
Arbres et plantes veillaient, épiaient,
Et s’émerveillaient, tandis que dormaient les Juifs.
Chère Nuit ! De ce monde défaite ;
Fin des sottes menées, frein et mors du souci ;
Jour des esprits ; calme retraite de mon âme
Que nul ne vient troubler !
Progrès du Christ, et Son temps de prière ;
Heures auxquelles s’accordent les hauteurs du Ciel.
Vol silencieux, inquisiteur, de Dieu ;
Tandis que la tête du Seigneur est pleine de rosée, que toutes
Ses boucles sont humides des gouttes claires de la nuit ;
Son appel immobile et tendre ;
Son heure pour frapper à la porte ; veillée muette de l’âme,
Les esprits y rejoignent leur famille splendide.
Si tous mes jours bruyants, mauvais,
Etaient calmes, non hantés, comme ta sombre voûte,
Dont la paix n’est déchirée parfois
Que par l’aile ou par la voix d’un ange,
Alors, toute la longue année, au ciel
Je demeurerais sans jamais ici vagabonder.
Mais vivant où le soleil
Tire toutes choses du sommeil, où toutes se mêlent
Et épuisent à la fois les autres et leur propre substance,
À toute fange je consens et je cours ;
Et par la lumière trompeuse de ce monde
Je m’écarte plus du chemin que je ne peux faire dans la nuit.
Il est en Dieu – d’aucuns le disent –
Une profonde, mais éblouissante ténèbre ; ainsi les hommes d’ici-bas
Disent qu’il se fait tard et crépusculaire, parce qu’ils ne voient
Toutes choses claires.
Oh ! que vienne cette Nuit ! Pour qu’en Lui
J’y puisse vivre invisible, effacé !
Henry VAUGHAN.
Traduit par G.-A. Astre.
Recueilli dans La poésie anglaise,
par Georges-Albert Astre,
Seghers, 1964.