Agonie de moine
Faites miséricorde au vieux moine qui meurt,
Et recevez son âme entre vos mains, Seigneur.
Quand ses maux lui crieront que sa vie en ce monde
A fini de creuser son ornière profonde ;
Quand ses regards vitreux, obscurcis et troublés,
Enverront leurs adieux vers les cieux étoilés ;
Quand se rencontrera, dans les affres des fièvres,
Une dernière fois, votre nom sur ses lèvres ;
Quand il s’affaissera pâle, brisé d’effort,
La chair épouvantée à l’aspect de la mort ;
Quand l’esprit obscurci du travail des ténèbres,
Il cherchera la croix avec des mains funèbres ;
Quand on recouvrira de cendres son front ras
Et que pour bien mourir on croisera ses bras ;
Quand on lui donnera pour suprême amnistie,
Pour lampe de voyage et pour soleil, l’hostie ;
Quand les cierges veillants pâliront de lueurs
Son visage lavé des dernières sueurs ;
Quand on abaissera sa tombante paupière,
À toute éternité, sur son lobe de pierre ;
Quand raides et séchés ses membres verdiront
Et que les premiers vers en ses flancs germeront ;
Quand on le descendra, sitôt la nuit tombée,
Parmi les anciens morts qui dorment sous l’herbée ;
Quand l’oubli prompt sera sur sa fosse agrafé
Comme un fermoir de fer sur un livre étouffé ;
Faites miséricorde à son humble mémoire,
Seigneur, et que son âme ait place en votre gloire !
Émile VERHAEREN, Les moines.
Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,
présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,
Duculot, 1968.