Une estampe
Le corps émacié sous les voiles ballants,
La couronne de fer et d’or mordant la tempe,
L’impérière la mort règne dans une estampe
Noire d’usure et d’ombre et vieille de mille ans.
Car cette estampe ornait jadis l’hôtellerie
D’un cloître bernardin relevant de Clairvaux ;
Ceux qui pélerinaient par bourgs, par bois, par vaux,
Le soir, étaient hantés par cette allégorie.
Quand les rêves lassés et les pensers contrits,
Ils s’arrêtaient pour y dormir au monastère,
Et que le grand dortoir livide et solitaire,
Avec tout son silence, entrait dans leurs esprits.
Elle exerçait alors l’intime pénétrance
D’un art hostile à l’homme et pourtant recherché
Des cerveaux inquiets de grâce et de péché,
Et des cœurs tourmentés par l’énigme et l’outrance.
On sentait que celui qui l’avait faite ainsi,
Était un maître ardent, tourmenté de magie,
Qui cherchait, dans la peur du cercueil, l’énergie
De rester dans sa foi catholique endurci.
Que de regards avaient passé sur cette image !
Que de baisers chrétiens et de pleurs pénitents
Sur le macabre et grand squelette à qui les temps
Avaient donné le ton d’un rugueux étamage !
Que de pensers remplis de deuil et d’infini !
Que de lèvres déjà froides et solennelles
Et qui n’avaient laissé d’autre souvenir d’elles
Qu’un peu de leur moiteur sur le vélin terni !
Oh ! les vieux pèlerins des grands siècles austères
Oh ! les passants perdus par l’espace lointain,
Ceux qui s’en vinrent hier, ceux qui viendront demain,
Les résignés, les forts, les purs, les solitaires !
Oh ! les bouches en feu qui l’aimeront encor,
Les innombrables mains qui de leurs doigts d’argile
L’attoucheront, avec un tremblement fébrile,
Et qui toutes seront mortes, avant la mort !
Émile VERHAEREN, Les moines.
Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,
présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,
Duculot, 1968.