Saint Georges

 

 

Ouverte en large éclair, parmi les brumes,

Une avenue ;

Et Saint Georges, cuirassé d’or,

Avec des plumes et des écumes,

Au poitrail blanc de son cheval, sans mors,

Descend.

 

L’équipage diamantaire

Fait de sa chute, un triomphal chemin

À la pitié du ciel vers notre terre.

Prince de l’aube et du matin,

Joyeux, vibrant et cristallin,

Son cœur nocturne, oh qu’il l’éclaire,

Au tournoiement de son épée auréolaire !

Que j’entende le bruit glissant

Du vent, autour de sa cotte de mailles

Et de son gonfanon dans les batailles ;

Le Saint Georges, celui qui luit,

Et vient, parmi les cris de mon désir,

Saisir

Mes pauvres bras tendus vers sa vaillance !

 

Comme un grand cri de foi

Il tient, droite, sa lance,

Le Saint Georges ;

Il fait comme un tumulte d’or

Dans le céleste et flamboyant décor ;

Il porte au front l’éclat du chrême,

Le Saint Georges du haut devoir,

Beau de son cœur et par lui-même.

 

Sonnez, toutes mes voix d’espoir !

Sonnez en moi, sonnez, sous les rameaux,

En des chemins pleins de soleil !

Micas d’argent, soyez la joie entre les pierres ;

Et vous les blancs cailloux des eaux,

Ouvrez vos yeux, dans les ruisseaux,

À travers l’eau de vos paupières ;

Paysage, avec tes lacs vermeils,

Sois le miroir des vols de flamme

Du Saint Georges vers mon âme !

 

Contre les dents du dragon noir,

Contre l’armature de lèpre et de pustules,

Il est le glaive et le miracle.

La charité, sur sa cuirasse brûle,

Et son courage est la débâcle

Bondissante de l’instinct noir.

 

Feux criblés d’or, feux rotatoires

Et tourbillons d’astres, ses gloires,

Aux galopants sabots de son cheval,

Éblouissent les yeux de ma mémoire.

Il vient, en bel ambassadeur

Du pays blanc, illuminé de marbres

Où, dans les parcs, au bord des mers, sur l’arbre

De la bonté, suavement croît la douceur.

 

Le port, il le connaît, où se bercent, tranquilles,

De merveilleux vaisseaux emplis d’anges dormants,

Et les grands soirs, où s’éclairent des îles

Belles, mais immobiles,

Parmi les yeux, dans l’eau des firmaments.

Ce royaume, d’où se lève, reine, la Vierge,

Il en est l’humble joie ardente – et sa flamberge

Y vibre, en ostensoir, dans l’air :

Le dévorant Saint Georges clair

Qui frôle et éblouit de son éclair

Mon âme.

 

Il sait de quels lointains je viens,

Avec quelles brumes, dans le cerveau,

Avec quels signes de couteau,

En croix noires, sur la pensée,

Avec quel manque de biens,

Avec quelle puissance dépensée.

Avec quel masque et quelle folie,

Sur de la honte et de la lie.

 

J’ai été lâche et je me suis enfui

Dans un jardin de maux et de pleurs infertiles ;

J’ai soulevé quand me cernait la nuit

Les marbres d’or d’une science hostile

Vers des sommets barrés d’oracles noirs ;

Seule la mort est la reine des soirs

Et tout effort humain n’est clair que dans l’aurore ;

Avec les fleurs, la prière désire éclore,

Et leurs douces lèvres ont le même parfum ;

Le blanc soleil, sur l’eau nacrée, est pour chacun

Comme une main de caresse sur l’existence ;

L’aube s’ouvre, comme un conseil de confiance,

Et qui l’écoute est le sauvé

De son marais, où nul péché ne fut jamais lavé.

 

Le Saint Georges rapide et clair

A traversé, par bonds de flammes,

Le frais matin, jusqu’à mon âme ;

Il était jeune et beau de foi ;

Il se pencha d’autant plus bas vers moi

Qu’il me voyait plus à genoux ;

Comme un intime et pur cordial d’or

Il m’a rempli de son essor

Et tendrement d’un effroi doux ;

Devant sa vision altière,

J’ai mis en sa pâle main fière

Les fleurs tristes de ma douleur,

Et lui, s’en est allé, m’imposant la vaillance

Et sur le front, la marque en croix d’or de sa lance,

Droit vers son Dieu, avec mon cœur.

 

 

 

Émile VERHAEREN, Les apparus dans mes chemins.

 

Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,

présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,

Duculot, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

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