Méditation
Heureux ceux-là, Seigneur, qui demeurent en toi,
Le mal des jours mauvais n’a point rongé leur âme,
La mort leur est soleil et le terrible drame
Du siècle athée et noir n’entame point leur foi.
Obscurs pour nos regards, ils sont pour toi, les lampes
Que les anges sur terre, avec leurs doigts tremblants,
Allument dans les soirs mortuaires et blancs
Et rangent comme un nimbe à l’entour de tes tempes.
Heureux le moine doux, pour qui l’orgueil n’est point,
Dont les yeux n’ont jamais, si ce n’est en prière,
Comme des braises d’or avivé leur lumière
Et dont l’amour retient le cœur à ton cœur, joint.
Son esprit lumineux, telle une aube pascale,
Jette des feux pieux comme des fleurs de ciel :
Il marche sans péché, ni désir véniel,
Comme en une fraîcheur de paix dominicale.
Heureux le moine saint s’abattant à genoux,
Devant ta croix, dressant au ciel ses larges charmes,
Et qui lave ton nom avec les mêmes larmes
Que nous prostituons à nos douleurs à nous.
Son cœur est tel qu’un lac dans la montagne blanche,
Qui réverbère en ses pâles miroirs dormants
Et ses vagues de prisme emplis de diamants
Toute clarté de Dieu qui sur terre s’épanche.
Heureux le moine rude, ardent, terrible, amer,
Dont le sang se ravive aux larmes des supplices,
Dont la peau se lacère aux griffes des cilices
Et qui traîne vers toi les loques de sa chair.
Pour en tordre le mal, ses mains tortionnaires
Ont d’un si noir effort étreint son corps pâmé
Qu’il n’est plus qu’âme enfin et qu’il vit sublimé
Tout seul, comme un rocher meurtri par les tonnerres.
Heureux les moines grands, heureux tous ceux qui vont
Là-bas, en des chemins de paix et de prière,
Les regards aimantés par la vague lumière
Qui se fait deviner par delà l’horizon.
Émile VERHAEREN, Les moines.
Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,
présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,
Duculot, 1968.