Dans ma plaine

 

 

Je m’habille des loques de mes jours

Et le bâton de mon orgueil dans ma main ploie ;

Mes pas ! dites comme ils sont lourds

De me porter, de me traîner toujours

Sans plus d’espoir, de voie en voie.

Mon âme est comme un beffroi noir

Qui sonne au loin, près d’un rempart

Au fond du soir ;

Toute ma tête est vaine

Et mon œuvre jadis hautaine

S’éparpille comme au hasard.

 

Ah ! si la mort pouvait venir !

 

Plantez des croix, au long des routes,

Plantez des croix, sur le rempart,

N’importe où, plantez des croix, puisque toutes

Diront le sort d’un espoir mort.

Les voici donc mon pays et ma ville,

Avec leur fleuve au loin dans le brouillard,

Avec leurs toits et leurs clochers épars,

Avec leurs lacs, en flaques d’huile,

Monotones, dans le soir noir.

 

Ah ! si la mort pouvait venir !

 

Pourtant, je ne sais quoi illumine soudain

Le pauvre bâton mort que je tiens en ma main,

Et voici qu’un rayon glisse au loin sur la plaine

Où je n’ai dispersé que fatigue et que haine ;

Et le beffroi, là-bas, a beau sonner

Et son battant a beau tonner,

Je n’entends plus ses glas perclus,

Je n’entends plus, je n’entends plus

Rien qu’une voix qui vient d’en haut me pardonner.

 

Dites ? Dites ? Serait-ce elle qui veut venir

Vers l’agonie en feu de mes mauvais désirs,

Non pas la mort, mais elle,

La trépassée et la sainte que je rêve éternelle.

 

 

 

Émile VERHAEREN, Les apparus dans mes chemins.

 

Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,

présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,

Duculot, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

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