Plus de poètes

 

 

I

 

L’oiseau gazouille encor sur la branche penchée,

Le vent murmure encor dans les ombres du soir,

Mais le poète est mort et la lyre est brisée,

La flamme s’est éteinte au céleste encensoir...

Ô Dieu ! Lorsque ce siècle, au matin de sa vie,

Répandait sa belle âme en accords immortels,

Lorsque Chateaubriand allumait son génie

Aux flambeaux presqu’éteints des antiques autels,

Lorsque tout était pur dans la voix des poètes,

Que toutes les douleurs avaient leurs interprètes,

Et que le désespoir même dans ses fureurs

Cherchait pour l’adorer ton nom parmi ses pleurs,

Qui l’eût prédit, mon Dieu ! qu’un jour, la triste aurore,

Trouverait sans échos cette lyre sonore,

Dont les doux chants berçaient notre siècle naissant !

Qui l’eût dit, que mon cœur, dans son vol impuissant,

Semblable à la colombe envoyée au déluge,

Chercherait par le monde en vain un rameau vert

Et viendrait s’abriter dans le triste refuge

Du temple de la Muse, à tous les vents ouvert ?

 

 

II

 

Car nous nous sommes plus dans de grossières fanges,

Nous avons arraché les ailes à nos anges

                Et ri de la pudeur.

Nous avons rejeté les vertus des vieux âges,

L’amour, la foi, l’espoir et les conseils des sages

                Avec la paix du cœur.

 

Parce que l’infini nous cachait quelque chose,

Parce que le scalpel ne trouvait pas la cause

                Des secrets de la mort,

Nous avons abaissé nos têtes sur la terre,

Ne songeant qu’à chercher dans l’immonde matière

                Du plaisir et de l’or.

 

Les muses ont éteint leurs ardeurs inspirées

Au souffle desséchant des terrestres pensées,

                Des instincts les plus bas.

Elles ont délaissé les champs de la patrie,

Sans espoir de retour, sans laisser au génie

                La trace de leurs pas.

 

Car la lyre a besoin d’un encensoir qui fume,

D’un espoir qui s’éteint et toujours se rallume,

Des hymnes à l’autel, des hymnes au tombeau.

Où tout semble finir, elle dit : « Tout commence ».

Elle attache ici-bas à tout une espérance

Une croix à la tombe, une croix au berceau !

 

 

III

 

Mais un jour, 6 mon Dieu, grandira ta colère

Dans le souffle du vent. Au fracas du tonnerre,

La foudre tracera ton nom dans le ciel noir ;

Et comme Balthazar, au milieu de nos fêtes,

Surpris et châtiés, nous baisserons nos têtes

                Sous l’étreinte du désespoir.

 

Puis après l’ouragan viendra le ciel propice

Et la bonté de Dieu calmera sa justice.

Alors, pour célébrer l’Éternel, roi des rois,

Sortira du tombeau, vivante et rajeunie

Avec la Foi, sa sœur, la sainte Poésie

                Unissant la lyre à la croix !

 

 

 

Émile VERHAEREN, Poésies de jeunesse.

 

Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,

présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,

Duculot, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

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