Les saintes

 

 

Elles sont quatre à me parler : leurs voix

Toutes frêles entre leurs lèvres lentes,

Sont calmantes et réchauffantes,

Comme leurs robes et leurs mantes.

L’une est le bleu pardon, l’autre la bonté blanche,

La troisième l’amour pensif, la dernière le don

D’être, même pour les méchants, le sacrifice ;

Chacune a bu dans le chrétien calice

Tout l’infini.

 

Chacune, au long de sa personnelle avenue,

Sans apparat m’est advenue

Tenant en main la fleur-merveille

Cueillie à l’aube et qui conseille

Des actions plus belles que tout rêve ;

Leur attitude est nette, ainsi qu’un glaive.

Et parmi l’or de l’herbe et des étangs

Et les marbres des bords, rien ne paraît meilleur

Que de les voir se regarder longtemps

Et refléter leur mutuel bonheur

Dans les miroirs de leurs yeux nus.

 

En guirlande tressée, avec leurs doigts menus,

Mains dans les mains et leurs âmes penchées

Sur les marais de lie

De ma mélancolie,

Ensemble, elles se sont approchées.

 

Et la première, avec ses longs cheveux

M’’efface au front la rougeur des aveux ;

Elle, qui sait ma vie antérieure !

Elle m’entend me rabaisser moi-même,

Me reprocher mes souillures à mon baptême,

Et pour chaque péché son doux pardon

Est si profond – que c’est elle qui pleure.

 

Sa sœur est blanche, comme un dimanche.

Elle est paisible et solennelle,

Sans rien qui ne soit pur et simple en elle ;

Elle nous fait les tranquillement doux,

Les inclinés, à deux genoux,

Devant toute misère humaine.

Le creux orgueil et l’audace de plâtre

S’emplument d’or, sur leur théâtre,

En vain, et se couronnent de leur haine ;

Quand la bonté paraît, son cœur silencieux

Conquiert si sûrement tous ceux

Qui ont souci de leur bonheur et de leur vie,

Que c’est elle l’humble, mais la servie.

 

Chaste violemment, malgré son cri charnel,

L’amour est si brûlant qu’il se croit éternel.

Doucement mère, avec ses doigts d’aurore,

L’amante est là, qui fait éclore

En des cerveaux de soir, la lumière fragile ;

Elle est celle qui sait les cœurs d’argile

Et comme vite ils se brisent, si ses deux mains

Ne les garaient contre son sein.

En robe douce et dont les traînes

Font un bruit d’ailes,

Elle me dit les paroles fidèles :

« Je suis belle, comme les fleurs sereines,

Je regarde par la fenêtre de la vie

Vers les domaines de la mort,

Pour y revivre, un jour, en poussière ravie,

Qui t’aimerait encor.

Ma maison claire et douce, intimement,

Et les rideaux de blancs silences

Tombent sur mon mystère et sur ma vigilance ;

Mon pain est fait de pur froment.

J’habite, au loin des grandes routes,

Là-bas, parmi les bois, les prés, les voûtes,

De l’amical feuillage et près de la fontaine.

J’aime très simplement et ma docilité,

Si timide parfois qu’elle apparaît hautaine,

N’est que la pureté de ma clarté.

 

La dernière des sœurs nous est la charité toute âme

Qui regarde le monde avec les yeux de Dieu,

Et dresse entre ses mains de feu

La plus pure des flammes.

Celle de l’ardente et divine folie

Qui se saigne le cœur et qui se multiplie

Comme l’amour du Christ lui-même.

Celle dont la pitié couvre jusqu’au blasphème,

La sublime amante du bien,

L’abandonnée aux coups de tous, que rien

Ne rebute, ni rien ne rassasie.

Par les chemins damnés du monde,

Par la contrée atroce et la ville transie

Des affolés et des mâchant-la-faim,

Elle partage à tous sa passion féconde

Pour le total bonheur humain.

Elle est la vierge violente,

La suppliante et des lèvres et des genoux,

Celle dont les baisers bouchent les trous

Des haillons noirs de la détresse :

Mais ferme aussi et parfois vengeresse

Et guerrière quand ses drapeaux

Volent dans la révolte et la lumière

Et que son pied, qui casse les tombeaux,

En fait surgir l’aurore et ses mille lambeaux.

 

Elles sont quatre à me parler

– Robes chastes et mantes lentes

Et mains douces et consolantes –.

Elles font le tour de mon âme

Avec, à travers leurs doigts clairs, la flamme

De leur lumière sur mon âme,

Et quand elles auront, dans ma maison,

Mis de l’ordre à mes torts, plié tous mes remords,

Et refermé, sur mes péchés, toute cloison,

En leur page d’or immobile, où le bonheur

Descend, sur des rives de fleurs entr’accordées,

Elles dresseront les hautes idées

En sainte-table, pour mon cœur.

 

 

 

Émile VERHAEREN, Les apparus dans mes chemins.

 

Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,

présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,

Duculot, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net