Soir religieux

 

 

Sur le couvent qui dort, une paix d’ombre blanche

Plane mystiquement et, par les loins moelleux,

Des brouillards de duvet et des vols nébuleux

Égrènent en flocons leur neigeuse avalanche.

 

Le ciel d’hiver, empli d’un espace géant,

Nacre l’azur profond d’une clarté sereine ;

Il semble que la nuit tende sur de l’ébène

Des manteaux de silence et des robes d’argent.

 

Les peupliers penchant, pâles, leur profil triste,

Nimbé de lune, au bord des rives sans remous,

Avec un va-et-vient de balancement doux,

Font trembler leurs reflets dans les eaux d’améthyste.

 

À l’horizon, par où les longs chemins perdus

Marchent vers le matin, à la lueur des chaumes,

Flottent, au son du vent, des formes de fantômes

Qui rasent les gazons de leurs pieds suspendus.

 

Car c’est l’heure, où, là-bas, les Anges en guirlande,

Redescendent cueillir mélancoliquement,

Dans les plaines de l’air muet, le lys dormant,

Le lys surnaturel qui fleurit la légende.

 

On les rêve passant sur les cimes, où luit,

Comme des baisers d’or, l’adieu de la lumière,

Ils vont par le sentier ; le champ et la bruyère,

Et, le doigt sur la bouche, ils écoutent la nuit.

 

Et tel est le silence éclos autour du cloître

Et le mystère épars autour de l’horizon,

Qu’ils entendent la pure et belle floraison

Du pâle lys d’argent sur les montagnes croître.

 

 

 

Émile VERHAEREN, Les moines.

 

Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,

présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,

Duculot, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

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