Du fond du grabat...

 

 

Du fond du grabat

As-tu vu l’étoile

Que l’hiver dévoile ?

Comme ton cœur bat,

Comme cette idée,

Regret ou désir,

Ravage à plaisir

Ta tête obsédée,

Pauvre tête en feu,

Pauvre cœur sans dieu !

 

L’ortie et l’herbette

Au bas du rempart

D’où l’appel frais part

D’une aigre trompette,

Le vent du coteau,

La Meuse, la goutte

Qu’on boit sur la route

À chaque écriteau,

Les sèves qu’on hume,

Les pipes qu’on fume !

 

Un rêve de froid :

« Que c’est beau la neige

Et tout son cortège

Dans leur cadre étroit !

Oh ! tes blancs arcanes,

Nouvelle Archangel,

Mirage éternel

De mes caravanes !

Oh ! ton chaste ciel,

Nouvelle Archangel ! »

 

Cette ville sombre !

Tout est crainte ici...

Le ciel est transi

D’éclairer tant d’ombre.

Les pas que tu fais

Parmi ces bruyères

Lèvent des poussières

Au souffle mauvais...

Voyageur si triste,

Tu suis quelle piste ?

 

C’est l’ivresse à mort,

C’est la noire orgie,

C’est l’amer effort

De ton énergie

Vers l’oubli dolent

De la voix intime,

C’est le seuil du crime,

C’est l’essor sanglant.

– Oh ! fuis la chimère :

Ta mère, ta mère !

 

Quelle est cette voix

Qui ment et qui flatte ?

« Ah ! la tête plate,

Vipère des bois ! »

Pardon et mystère.

Laisse ça dormir.

Qui peut, sans frémir,

Juger sur la terre ?

« Ah, pourtant, pourtant,

Ce monstre impudent ! »

 

La mer ! Puisse-t-elle

Laver ta rancœur,

La mer au grand cœur,

Ton aïeule, celle

Qui chante en berçant

Ton angoisse atroce,

La mer, doux colosse

Au sein innocent,

Grondeuse infinie

De ton ironie !

 

Tu vis sans savoir !

Tu verses ton âme,

Ton lait et ta flamme

Dans quel désespoir ?

Ton sang qui s’amasse

En une fleur d’or

N’est pas prêt encor

À la dédicace.

Attends quelque peu,

Ceci n’est que jeu.

 

Cette frénésie

T’initie au but.

D’ailleurs, le salut

Viendra d’un Messie

Dont tu ne sens plus

Depuis bien des lieues

Les effluves bleues

Sous tes bras perclus,

Naufragé d’un rêve

Qui n’a pas de grève !

 

Vis en attendant

L’heure toute proche.

Ne sois pas prudent.

Trêve à tout reproche.

Fais ce que tu veux.

Une main te guide

À travers le vide

Affreux de tes voeux.

Un peu de courage,

C’est le bon orage.

 

Voici le Malheur

Dans sa plénitude.

Mais à sa main rude

Quelle belle fleur !

« La brûlante épine ! »

Un lis est moins blanc.

« Elle m’entre au flanc. »

Et l’odeur divine !

« Elle m’entre au cœur. »

Le parfum vainqueur !

 

« Pourtant je regrette,

Pourtant je me meurs,

Pourtant ces deux cœurs... »

Lève un peu la tête :

« Eh bien, c’est la Croix. »

Lève un peu ton âme

De ce monde infâme.

« Est-ce que je crois ? »

Qu’en sais-tu ? La Bête

Ignore sa tête,

 

La Chair et le Sang

Méconnaissent l’Acte.

« Mais j’ai fait un pacte

Qui va m’enlaçant

À la faute noire,

Je me dois à mon

Tenace démon :

Je ne veux point croire.

Je n’ai pas besoin

De rêver si loin !

 

« Aussi bien j’écoute

Des sons d’autrefois.

Vipère des bois,

Encor sur ma route ?

Cette fois tu mords. »

Laisse cette bête.

Que fait au poète ?

Que sont des cœurs morts ?

Ah ! plutôt oublie

Ta propre folie.

 

Ah ! plutôt, surtout,

Douceur, patience,

Mi-voix et nuance,

Et paix jusqu’au bout !

Aussi bon que sage,

Simple autant que bon,

Soumets ta raison

Au plus pauvre adage,

Naïf et discret,

Heureux en secret !

 

Ah ! surtout, terrasse

Ton orgueil cruel,

Implore la grâce

D’être un pur Abel,

Finis l’odyssée

Dans le repentir

D’un humble martyr,

D’une humble pensée.

Regarde au-dessus...

« Est-ce vous, JÉSUS ? »

 

 

 

Paul VERLAINE, Sagesse.

 

 

 

 

 

 

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