Le sage
Désormais le Sage, puni
Pour avoir trop aimé les choses,
Rendu prudent à l’infini,
Mais franc de scrupules moroses,
Et d’ailleurs retournant au Dieu
Qui fit les yeux et la lumière,
L’honneur, la gloire, et tout le peu
Qu’a son âme de candeur fière,
Le Sage peut, dorénavant,
Assister aux scènes du monde,
Et suivre la chanson du vent,
Et contempler la mer profonde.
Il ira, calme, et passera
Dans la férocité des villes,
Comme un mondain à l’Opéra
Qui sort blasé des danses viles.
Même, – et pour tenir abaissé
L’orgueil, qui fit son âme veuve,
Il remontera le passé,
Ce passé, comme un mauvais fleuve !
Il reverra l’herbe des bords,
Il entendra le flot qui pleure
Sur le bonheur mort et les torts
De cette date et de cette heure !...
Il aimera les cieux, les champs,
La bonté, l’ordre et l’harmonie,
Et sera doux, même aux méchants,
Afin que leur mort soit bénie.
Délicat et non exclusif,
Il sera du jour où nous sommes :
Son cœur, plutôt contemplatif,
Pourtant saura l’œuvre des hommes,
Mais revenu des passions,
Un peu méfiant des « usages »,
À vos civilisations
Préférera les paysages.
Paul VERLAINE, Sagesse.