La voix terrible de l’Amour

 

 

Voix de l’Orgueil : un cri Puissant comme d’un cor,

Des étoiles de sang sur des cuirasses d’or.

On trébuche à travers des chaleurs d’incendie...

Mais en somme la voix s’en va, comme d’un cor.

 

Voix de la Haine : cloche en mer, fausse, assourdie

De neige lente. Il fait si froid ! Lourde, affadie,

La vie a peur et court follement sur le quai

Loin de la cloche qui devient plus assourdie.

 

Voix de la Chair : un gros tapage fatigué.

Des gens ont bu. L’endroit fait semblant d’être gai.

Des yeux, des noms, et l’air plein de parfums atroces

Où vient mourir le gros tapage fatigué.

 

Voix d’Autrui : des lointains dans des brouillards. Des noces

Vont et viennent. Des tas d’embarras. Des négoces,

Et tout le cirque des civilisations

Au son trotte-menu du violon des noces.

 

Colères, soupirs noirs, regrets, tentations

Qu’il a fallu pourtant que nous entendissions

Pour l’assourdissement des silences honnêtes,

Colères, soupirs noirs, regrets, tentations,

 

Ah ! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes,

Sentences, mots en vain, métaphores mal faites,

Toute la rhétorique en fuite des péchés,

Ah ! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes !

 

Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchés.

Mourez à nous, mourez aux humbles vœux cachés

Que nourrit la douceur de la Parole forte,

Car notre cœur n’est plus de ceux que vous cherchez !

 

Mourez parmi la voix que la prière emporte

Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte

Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour,

Mourez parmi la voix que la prière apporte,

 

Mourez parmi la voix terrible de l’Amour !

 

 

 

Paul VERLAINE, Sagesse.

 

 

 

 

 

 

 

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