À Clémence
Que j’en ai vu mourir, hélas ! de jeunes filles...
VICTOR HUGO.
Son œil noir était vif, et sa bouche rieuse
Faisait briller ses dents en perles de blancheur ;
En voyant resplendir la joie et la candeur,
On lisait sur son front : Ô Dieu ! qu’elle est heureuse !
Oui, rien n’avait encor troublé tes doux instants,
Jeune vierge au cœur pur, du lis vivant emblème ;
Sur ta tête on eût pu, comme un beau diadème,
Écrire avec des fleurs ces mots : Seize printemps.
Folâtre, tu suivais les pas de Terpsichore,
Tu rêvais de son art devant Taglioni,
Et, parfois, ton gosier, d’une note sonore,
Vibrait comme un écho de diva Persiani.
La romance du saule exhalait tous les charmes
De ta voix enfantine ; et ton vrai sentiment
Avait dans Rossini puisé l’âme et les larmes
Que pleurent Desdémone et son jaloux amant.
Mon Dieu ! qui pouvait dire : une si fraîche vie
Bientôt va se faner comme une faible fleur
Qu’un coup de vent emporte, et qui tombe ravie
Par le courant du fleuve au murmure enchanteur ?
Hélas ! c’était l’automne, et la feuille jaunie
Arrosa les bosquets et la nature en deuil.
Pauvre Clémence ! alors, sonna ton agonie...
Nous te vîmes descendre au lugubre cercueil.
Ainsi, la noire Mort, d’une aveugle faucille,
Tranche roses et lis, éteint les plus beaux jours...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
– Et maintenant, croyez, rieuse jeune fille,
Croyez donc au bonheur, et rêvez-le toujours !
Espérez... ; car la mort, aux coupes d’innocence,
Versera le poison, l’amertume et le fiel,
Fermera vos beaux yeux comme ceux de Clémence,
En vous disant : Bel ange, envolez-vous au ciel !!...
1851.
Théodore VÉRON, Les mélodies, 1870.