Mission de l’artiste
Courage, artiste, à l’œuvre, à l’œuvre !
Ouvrier, sublime manœuvre,
Toujours l’instrument à la main.
Gloire au vaillant, mais honte au lâche !
Petit ou grand, point de relâche
Pour éclairer le genre humain !
Qu’importe que le front pâlisse,
Pourvu que veiller l’élargisse !
S’il se fait chauve au dur labeur,
J’aime à voir sa peau saturée
D’une ride prématurée
Où bourgeonne l’idée en fleur.
Qu’importe si la destinée
A hâté la fatale année
Où meurt le marin sous les flots :
N’a-t-il pas aidé l’équipage,
N’a-t-il pas le précieux gage
Du tendre amour des matelots ?
Ah ! pour quiconque ici-bas pense,
La vie est un devoir immense ;
Notre tribut, à tous, est lourd ;
Artiste, savant, ou poète,
Aucun, pour acquitter sa dette,
Ne doit être oublieux, ni sourd.
Et vous dont l’âme est souvent triste,
Consolez-vous, mon noble artiste ;
Suivez la sainte mission
Que vous avez, nouveau Moïse,
De frayer la route promise
Au nouveau peuple de Sion.
Vous serez toujours son étoile,
Soit avec le marbre ou la toile,
Avec l’équerre et le compas :
Guidé par votre âme bénie,
Sur les traces du pur génie
Il voudra diriger ses pas.
Respect, amour pour cette foule ;
En suivant son torrent qui roule,
Réglez son cours audacieux ;
Sur les simples, l’âme choisie
Doit répandre sa poésie,
Pour les mortels quittant les cieux.
Nouveau croyant, comme à Solyme,
Poursuivez votre œuvre sublime,
Portez la lumière en tout lieu,
L’intelligence, vers son pôle,
Vous suivra, céleste boussole,
En se tournant toujours vers Dieu !
Théodore VÉRON, Les mélodies, 1870.