Les trois sœurs
Il est trois vertus sans égales,
Toutes trois se donnant la main ;
On les dirait théologales
Et les guides du genre humain.
La première, c’est l’assistance,
Qui soutient le déshérité,
Que l’homme appela bienfaisance
Et que Dieu nomme charité.
Pour chanter sa gloire en tout lieu,
Accorde ma lyre, ô mon Dieu !
La seconde, rude ouvrière,
Tient du monde le gouvernail :
C’est la science ou la lumière,
Et son vrai nom, c’est le travail.
Le travail, ce dieu de Voltaire,
Fait sortir de sa corne d’or
Tous les fruits exquis de la terre
Et du néant fait un trésor.
Pour chanter sa gloire en tout lieu,
Accorde ma lyre, ô mon Dieu !
La troisième, c’est la vaillance,
La noble ambition, l’honneur,
Qui nous fait tous, enfants de France,
Briguer la palme du vainqueur.
Par cet aiguillon du courage,
Plein de force on marche au combat,
Pour conquérir en apanage
Les lauriers d’un brave soldat.
Pour chanter sa gloire en tout lieu,
Accorde ma lyre, ô mon Dieu !
Mais il est de plus saintes armes.
Les plus nobles de ces guerriers
Ne font jamais verser des larmes
Et n’ont point d’engins meurtriers...
Courbés sur leur divin problème,
Avec la plume et le pinceau,
Ils aiment d’un amour suprême.
Amour ! c’est là tout leur drapeau.
Pour chanter sa gloire en tout lieu,
Accorde ma lyre, ô mon Dieu !
Déployant leur aile féconde,
Comme des anges, ces trois sœurs,
Volent et planent sur le monde
Pour exalter les producteurs ;
Elles font pâlir l’ignorance
Au flambeau de la vérité,
Et promettent la délivrance
À l’esclave déshérité.
Pour chanter leur gloire en tout lieu,
Accorde ma lyre, ô mon Dieu !
Ô mes trois divines lumières,
Répandez partout vos bienfaits,
Et jusqu’aux plus humbles chaumières
Faites flamboyer le progrès !
Sur les vieux chevaux d’Isaïe,
Volez, grands astres, nuit et jour ;
Inondez-nous de poésie,
De beau, de vrai, de noble amour !
Pour chanter leur gloire en tout lieu,
Accorde ma lyre, ô mon Dieu !
Théodore VÉRON, Les mélodies, 1870.