Exhortation à un affligé

 

 

MON frère, je n’en ai point cru la joie extérieure qui t’environne, et tu n’as pas à me faire un long récit de tes secrètes douleurs. Je sais que tu es pauvre dans l’abondance ; je connais tes efforts inutiles, tes espérances trompées, j’ai pénétré dans la solitude de ton cœur, j’ai vu que tes souhaits purs et pieux semblaient méprisés du ciel.

Tu m es apparu comme un arbre précieux, chargé de fruits qui sèchent sur la branche. Tu n’as pu trouver ni les combats du siècle ni la paix du cloître ; tu restes à l’écart, insulté dans ton armure par mille soins puérils, dont l’importunité t’empêche d’agir et t’empêche de prier.

Le monde te blâme de cette oisiveté qui t’écrase. On se dit : Que fait-il ? que n’est-il au combat ? que n’est-il à la prière ? Tu vois grandir la renommée d’une foule de nouveaux venus qui n’ont point ta raison, ni ta science, ni ta vertu peut-être ; on te cite leur exemple, et l’on te croit perdu dans ton bonheur.

Qu’importe ? si Dieu te donne ce martyre, accepte-le. Proclame devant le monde ta soumission par un absolu silence et par la paix de ton visage ; proclame-la devant Dieu par le mépris continuel de tes désirs. Tu souffres ? Réjouis-toi de souffrir : tu triomphes, si tu souffres !

Ouvre la vie des saints, médite les annales de ta famille : ces glorieux frères que Dieu t’a donnés, vierges et matrones, enfants et vieillards, rois et solitaires, soldats et docteurs, tous sont martyrs ! martyrs de la corruption qui est dans la nature, martyrs de l’amour de Dieu, martyrs de la rage des hommes, martyrs de leur propre volonté. Quiconque a passé sur la terre pour arriver au ciel, porte dans le ciel une palme humide. Trempée de sang, ou de sueurs, ou de larmes, la palme a été trempée dans les blessures vives souffertes pour la foi par l’humanité. Le monde a vu les uns sur des lits de feu, et n’a vu les autres que sur des lits de roses ; Dieu les a tous vus dans la mortification, dans l’humilité, dans la patience, dans le repentir. Quand les fidèles sont assemblés, regarde celui qui pleure et tremble, et se frappe la poitrine : ce n’est pas le coupable, c’est le saint.

Tous les saints du ciel ont des palmes, des palmes humides, qu’ils agitent au souffle de nos prières ; et ainsi tombe sur nous la féconde rosée de leur sacrifice, qui nous attire la grâce de Dieu : mais sur eux-mêmes est tombé le sang de Jésus-Christ, le roi éternel, le modèle inimitable, l’inépuisable force des martyrs.

Mon Sauveur ! glorieux sont vos martyrs et glorieux sont vos saints. Vos martyrs ont travaillé, vos saints ont souffert, et nous ne savons pas jusqu’où votre miséricorde s’étend. Selon les forces, vous distribuez les fardeaux. Celui qui ne pourrait souffrir qu’un jour, ne souffre qu’un jour, et vous avez soutenu à chaque instant de sa vie celui qui vous a glorifié durant le cours d’une longue vie. Si nous ne pouvons vous servir sans votre aide et sans votre grâce, c’est que nous sommes faibles et que nous luttons contre un ennemi terrible et fort ; c’est qu’il faut braver toujours des coups redoutés ; c’est que sans cesse il faut vaincre la douleur, vaincre le désir, refuser l’encens à d’impures idoles longtemps adorées et souvent trop chères encore ; c’est qu’il faut enfin rompre le joug d’un tyran plus habile que tous les persécuteurs, puisqu’il n’est autre que nous-mêmes.

Il faut que vous soyez glorifié durant tous les âges, et jusqu’à la fin des âges vous aurez des martyrs. Le glaive en fera, le libre amour de vos enfants les multipliera. Les uns seront mis en lambeaux par les ongles de fer, et les autres déchirés par les tentations ; de ceux-ci on broiera les os, de ceux-là on broiera le cœur. Ils compteront longtemps par leurs plaies tout ce que les bourreaux auront tranché, tout ce qu’il aura fallu couper et arracher soi-même.

Mais ils auront là-haut l’éternelle palme ; ils auront dès ce monde, ô Jésus ! votre amour.

Accepte, mon frère, le calice qu’il te faut boire, et ne murmure pas. Après avoir tant donné, s’il t’est demandé plus encore, donne encore et réjouis-toi. Tu sauras, sur les débris de tes espérances, quelle est la miséricorde de Dieu. Un jour viendra qui te fera voir ces ruines amoncelées comme autant d’échelons par où ton âme aura gravi vers le renoncement qui fait l’homme et le chrétien. Tu crois perdre ton temps, et tu gagnes le ciel !

Laisse arriver tous les désenchantements, laisse tomber ce reste des illusions de la jeunesse qui te couronne encore. Ces désastres sont le pain quotidien de la vie. Courage, ô voyageur ! cette tempête qui soulève les ondes et qui emporte à chaque effort quelque chose du navire, ne fait pourtant que le pousser plus vite au port du salut.

 

1845.

 

 

Louis VEUILLOT, Historiettes et fantaisies, 1888.

 

 

 

 

 

 

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