L’isolement du cœur
Ô Dieu, de quel divin parfum elle est suivie,
Cette voix qui nous dit au printemps de la vie :
« Jeune homme, c’est l’amour qu’ici vous respirez ;
Le ciel est sans nuage et la mer est calmée,
Hâtez-vous, cette vierge est votre bien-aimée,
Cette voix, c’est l’amour, elle vous dit : Entrez ! »
Ou bien : « L’orage est là, prévenons sa furie
Avant qu’il souffle, osons dans la coupe de vie
Boire jusqu’à l’ivresse aux sources du bonheur !
Et qu’importe l’orage ?... une fidèle étoile
Nous protège, et la nuit nous prêtera son voile.
C’est assez pour le cœur ! »
Ah ! mon Dieu ! si plus tard sur votre main posée
Notre main ne sent rien palpiter que la mort,
Et si dans les tourments d’une ardeur abusée,
Cherchant à comprimer un funeste transport,
Vous sentez que la vie est l’enfer de votre âme,
Un calice de feu qu’on avale toujours
Sans en vider jamais l’inépuisable flamme,
Alors demandez à l’amour !...
Demandez à l’amour pourquoi dans cette vie
L’espérance est toujours d’amertume suivie,
Pourquoi l’homme sortant des bras de la beauté
Pressent avec tristesse une heure où l’amour même
N’aura plus un seul mot pour vous redire : J’aime !
Plus de feu pour la volupté.
Et pourquoi la pensée errante et vagabonde
Ne trouvant plus d’asile où se cacher, le monde
Cherche à saisir un rêve à jamais échappé,
Et se brisant de fiel contre la destinée,
S’écrie avec l’accent d’une âme profanée :
Amour, tu m’as trompé !
Je l’ai trop bien appris, ce feu qui vous dévore,
Brille dans leurs regards comme un noir météore,
Comme un feu du volcan prêt à vous engloutir,
Comme un éclair du ciel, précurseur de la foudre,
Éclaire un voyageur qu’elle va mettre en poudre
Avant que de l’anéantir.
Et quand cet incendie a desséché votre âme
Et quand un vent funeste a soufflé sur la flamme
Si pure à son matin, qui brûle encore en vous,
Vous vivez bien toujours, si c’est toujours la vie
Que d’implorer du ciel l’heure de l’agonie
Sur un cercueil, à deux genoux !
Et quand on a trop lu dans le livre du monde
Comme une barque roule avec les flots de l’onde,
On se laisse entraîner au hasard des courants !...
Qu’importe si les flots errants à l’aventure
Nous poussent dans le port ou vers la plage impure
Où le poison caché dort sur les flots stagnants ?
Et puis vient un instant où l’âme abandonnée
Se consume elle-même et tombe profanée
Dans la morne stupeur d’un muet désespoir,
Et languissant ainsi dès l’aube jusqu’au soir,
Et mourant mille fois avant de mourir une,
Se résigne en pleurant, et dort dans sa fortune.
Grésy-sur-Isère, 31 juillet 1831.
Jean-Pierre VEYRAT.
Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,
publié par Charles Buet, 1889.