Ode
Heureux tandis qu’il est vivant
Celui qui va toujours suivant
Le grand Maître de la nature,
Dont il se croit la créature :
Il n’envia jamais autrui,
Quand tous les plus heureux que lui
Se moqueraient de sa misère ;
Le rire est toute sa colère :
Celui-là ne s’éveille point
Aussitôt que l’Aurore point,
Pour venir des soucis du monde
Importuner la terre et l’onde :
Il est toujours plein de loisir,
La justice est tout son plaisir.
Et permettant à son envie
Les douceurs d’une sainte vie,
Il borne son contentement
Par la raison tant seulement.
L’espoir du gain ne l’importune,
En son esprit est sa fortune :
L’éclat des cabinets dorés,
Où les princes sont adorés,
Lui plaît moins que la face nue
De la campagne ou de la nue !
La sottise d’un courtisan,
La fatigue d’un artisan,
La peine qu’un amant soupire
Lui donne également à rire.
Il n’a jamais trop affecté,
Ni les biens, ni la pauvreté ;
Il n’est ni serviteur, ni maître,
Il n’est rien que ce qu’il veut être ;
Jésus-Christ est sa seule foi,
Tels seront mes amis et moi.
Théophile de VIAU.
Recueilli dans Anthologie religieuse des poètes français,
t. I, 1500-1650, choix, présentation et notes d’Ivan Gobry,
Le Fennec éditeur, 1994.