Sainte Jeanne

 

 

Celle qui vint de Lorraine, à cheval,

Cueillir les Lys de France au jardin de Touraine,

Ramenait, au clair geste de sa main virginale,

En frissonnante traîne

– Comme d’un manteau d’or derrière elle épandu –

L’armée sans roi dont Dieu l’a faite reine ;

Et, sur le dais d’azur du firmament

– Nuages d’or, peut-être, ou flottante ombre, à peine –

La Victoire entrouvrait ses ailes éperdues

Et planait sur la plaine.

 

Le printemps s’éveillait dans l’aube tourangelle ;

Elle était pâle en son armure blanche, et belle ;

Elle portait au flanc une petite hache ;

Les longs cheveux liés contre sa nuque nue

Faisaient un casque noir à sa tête menue,

Puis s’épandaient au vent et flottaient en panache ;

Un page devant elle levait l’étendard blanc ;

On avait peint des lys dans la main des deux anges

Et Dieu, avec le monde entre ses mains.

 

Et derrière, venait l’armée en avalanche...

 

Ici, ô douce terre et féconde prairie

Que je foule, en chantant ta sainte litanie...

Ici, elle fit halte en l’arroi triomphal

De son armure blanche et sa bannière pâle

Et groupa devant Dieu sous la voûte des branches

La foule émerveillée en ce nouveau dimanche

De voir devant l’autel sous son armure blanche.

S’incarner l’âme claire des légendes de France.

 

Des vieillards qu’elle prit au geste de sa main

Pour les mener vers l’aube éblouie des demains

Elle fit, en riant, des jeunes gens alertes

Quand elle s’est levée, blanche dans l’herbe verte,

Comme surgit du sol un Lys miraculeux :

Et des blasphémateurs surent qu’ils étaient pieux.

 

Les fillettes de joie, éparses parmi les hommes,

Se groupèrent et s’en furent au geste qui pardonne,

Et l’Amour tressaillit blessé d’une autre flèche

Et pleura, se sentant moins fort que la Pitié...

Tous entendaient les voix, Jeanne, que vous écoutiez :

Ton printemps virginal faisait les âmes fraîches.

 

Et pourtant c’est de sang que la rosée est rouge ;

L’aube grise soulève une face d’orgie ;

Ainsi qu’un débauché sur le seuil bas d’un bouge,

Le jour sort de la nuit de léthargie ;

 

De grands clairons brandis sonnant l’éveil des races

Saluent l’aube d’un cri déchirant, elle saigne !

Les peuples gourds s’étirent bâillant leur faim vorace

– C’est pour la lutte encore que les mains s’étreignent –

 

Ah ! lève-toi, Soleil, archange de la vie,

Fais tournoyer ton glaive au seuil du vieil Éden :

L’homme las se retourne sur la route infinie

Et songe au lourd repos des légendes lointaines ;

 

Ô Vie ! amour, espoir, orgueil, colères fortes !

Chassez-nous vers la lutte exaltante et tenace ;

Ô Foi, vierge d’acier qui mène les cohortes,

Laboure de ta lance le cœur foulé des races !

 

La Loire éploie au vent son bleu manteau de reine

– Du haut de cette tour je regarde en aval –

Vergers d’avril, pourpris, renaissante Touraine,

Ne doit-il refleurir ton grand lys virginal ?

 

 

 

Francis VIELÉ-GRIFFIN, L’Amour sacré.

 

 

 

 

 

 

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