Le jugement dernier

 

ODE.

 

 

Quelle nuit ! quels éclairs ! quel horrible fracas !

Oh ! quelle vengeance s’apprête !...

La terre a frémi sous mes pas !

Les cieux, appesantis, mugissent sur ma tête ! !

 

Les sphères, dans leur choc, ont rompu leurs essieux !

Un souffle des enfers les pousse, les entraîne !....

Les mondes, détachés de la voûte des cieux,

Traînent l’anneau brisé de leur antique chaîne !

 

Le chaos à la terre ouvre un vaste cercueil !

        Le temps, frappé dans sa demeure,

                Marque la dernière heure

        Qui reste à notre orgueil !

Tout se tait !.. sur les monts, aux débris des montagnes

        Les flots demeurent suspendus !...

Les tonnerres, éteints sur les mornes campagnes

                Déjà ne roulent plus !....

Tous frappés à la fois, les éléments, dociles,

                Attentifs, immobiles,

Paraissent écouter une voix dans les airs !...

        Des vivants la troupe timide,

Aux dernières lueurs d’une clarté livide,

Voit passer, repasser une ombre des enfers !...

 

Ce silence d’horreur, ce tableau d’épouvante

        Annonce le courroux d’un Dieu !...

Mais déjà retentit la trompette éclatante !

Au sein de l’univers s’allume un nouveau feu !...

Les tombeaux sont ouverts !... en tous lieux, sur la terre,

Les morts, rendus soudain à leur forme première,

        Repeuplent d’immenses déserts,

        Et mille races, entassées,

        Des tombeaux sortent empressées

D’obéir au signal qu’attendait l’univers !

 

Un ange ouvre les cieux !.... d’un torrent de lumière

L’œil du juge éternel a rempli l’infini !

Et le ciel attentif, répondant à la terre,

                S’est écrié. C’est lui ! ! !

Quel regard peut sonder cet abîme de gloire ?....

Juste, écoute la voix qui te vient consoler !

        L’ange qui sonne la victoire

                A dit : Dieu va parler !

 

         « Peuples, que ma bonté fit naître,

» Rois, esclaves, tyrans, et vaincus, et vainqueurs,

        » Ne doutez plus si votre maître

» Veillait sur vos forfaits, veillait sur vos douleurs :

» Connaissez-moi ! Je viens, en ce jour redoutable,

        » Venger mon nom et mes enfants :

» L’impuissant, l’opprimé, l’esclave misérable

        » Qui déjà d’une erreur coupable

» Au séjour des mortels reçut les châtiments,

        » N’a rien à redouter d’un père

        » Qui ne réserve sa colère

        » Que pour les crimes triomphants.

 

        » Tous mes coups seront légitimes :

» Je ne frapperai point de trop faibles victimes ;

» Il faut à mon courroux d’audacieux tyrans.

        » Tremblez, oppresseurs de la terre,

        » Pour vous j’allume mon tonnerre !

» De mes fils malheureux asservis trop longtemps,

» Vous ne punirez plus les courageuses plaintes :

» Dans les feux éternels, loin des demeures saintes

        » Vous entendrez leurs chants !

 

» Mais vous, rois généreux, princes vraiment augustes,

» Vous tous, hommes puissants qui consoliez mes fils,

» Venez, ne restez plus parmi leurs ennemis !

        » Venez dans le séjour des justes !

        » Affranchis dans votre grandeur,

        » Des lois faites pour le malheur,

» Vous pouviez vous jouer de la faible innocence

» Plus grand fut le triomphe, et plus, dans ma puissance,

        » Je veux vous couvrir de splendeur.

 

» Venez, je vais peupler l’empire de ma gloire !

» Là, sous les lois de Dieu, monarques éternels,

» Des peuples qu’opprimaient les despotes cruels,

        » Et qui vont chanter leur victoire,

» Vous serez, dans les cieux, les maîtres adorés ;

        » Vous leur dicterez mes louanges ;

» Vous régnerez sur eux, de vos trônes sacrés,

        » Comme je règne sur les anges. »

 

Dieu dit !.... Sa voix parcourt l’immensité des cieux !...

Les élus dépouillés de leurs formes mortelles,

Voilant leur sainteté de l’éclat de leurs ailes,

S’envolent, triomphants, au séjour glorieux !....

Les séraphins, ouvrant les portes éternelles,

Aux ineffables chants, aux chants mélodieux,

Mêlent les saints accords des harpes solennelles !

                S’écroulant à la fois,

Les astres rallumés, mais qui n’ont plus de lois,

Dans un épais chaos de fumée et de flamme,

        Des tyrans que l’enfer réclame,

                Ont étouffé la voix !

 

                Satan, fier de leurs crimes,

D’un affreux hurlement remplit l’immensité !

                Il ouvre ses abîmes !....

Au milieu des débris il saisit ses victimes,

                Et rentre dans l’obscurité !

L’univers est détruit ! comme avant sa naissance,

Sur le chaos, la nuit, le néant, le silence,

                Seule règne l’éternité.

 

 

 

A.-B. VIGAROSY.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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