Aphorismes
I.
Quand des peuplades, après avoir perdu la lumière des traditions primitives, revinrent à l’empire de la justice et de la paix, alors commença pour elles à se résoudre l’intéressant problème de la civilisation.
En ce temps-là, les hommes comprirent la nécessité de partager entr’eux les fonctions indispensables à la vie sociale : les uns obtinrent de la terre, par leurs soins, ces produits, dont le nécessaire nourrit les peuples, et les préserve des intempéries ; dont le superflu devient, par les échanges, la base des relations commerciales. D’autres veillèrent contre le trouble de l’ennemi, à la conservation des fruits et du bétail. La crainte de forfaire, le désir de louanges, commencèrent, au milieu des combats de la force et de la fureur, à retirer ces hommes de la violence. L’honneur devint l’apanage des guerriers : la noble compensation du poids et du pénible métier des armes : les règles de l’éternelle équité, tracées au cœur de tous les hommes, remémorées par le sacerdoce, furent derechef proclamées loi des nations. Le glaive, rentré dans le fourreau, n’en dut sortir que pour résister à la rébellion, ramener l’ordre. La paix, en rendant l’homme de guerre enclin à la modération, l’adextra à la courtoisie.
II.
Courage, renommée sans justice, ne sont honneur : la loi de l’honneur est celle de la conscience. Sans probité, valeur, peut-être : rien de plus ; honneur, c’est impossible. Enlier dans sa foi, l’homme d’honneur reste incorruptible : les sifflements de l’envie finissent par se taire autour de lui. C’est par la grandeur d’âme qu’il remporte ses victoires.
Si la louange ne doit venir que des bonnes actions, la malignité d’autrui se doit prendre pour miroir et la plus belle des vengeances pour fermer la bouche malicieuse est de se corriger. Ainsi, la haine d’un ennemi peut devenir utile, et le fiel de ses propos plus serein que les paroles assaisonnées de miel.
Le monde, parcourant sa longue carrière, aime à se persuader qu’en vieillissant il devient meilleur : hommes de prétendue civilisation, si vous aimez à le croire, gardez-vous d’emprunter vos modèles à la barbarie. Dans le formulaire de l’honneur, revu et accommodé à la hauteur d’un siècle civilisateur et doué de lumière à profusion, biffez courageusement l’article suranné prescrivant, sur l’autel vaporeux de la vanité, un lamentable sacrifice de la vertu. Honneur à qui sait se vaincre soi-même et rendre bienfait pour outrage !
À la suite d’un laps de temps qu’il appelle un jour, Dieu lui-même se charge de votre querelle : une seule pensée fugitive, où l’univers la lui cèlerait-il ? S’il vous semble qu’il procède autrement, c’est qu’il sait attendre cette belle réparation qu’on nomme le repentir.
Ô mortels, comprenez la magnanimité, vous qui croiriez pouvoir aspirer à devenir supérieur aux autres : elle embrasse toutes les vertus !
Mai 1860.
Baron de VIGAN.
Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1860.