La misère
par
Constancio C. VIGIL
I
La misère existe.
Non seulement la misère qui provient de la stérilité de la terre, mais la grande misère qui provient de la stérilité des âmes et de la dureté des cœurs.
Le monde est vieux, et ses générations, plus de fois renouvelées que les feuilles des arbres, plus de fois rasées, pour renaître à nouveau, que l’herbe des prés fauchés, ont souvent souffert de la faim, mais souvent aussi leur faim a été satisfaite.
Mais à cause des miséreux, la misère a continué.
Il est vain de prétendre en distraire le monde. Chaque vie et toutes les vies s’écoulent pour contribuer au grand thème de la misère qui ne finit jamais.
Il est vain pour nous, vivants, de prétendre la cacher avec notre silence, avec quelques illusions, avec un mensonge. Nous serons bientôt renouvelés comme les feuilles des arbres, comme l’herbe des prés, et ceux qui surgiront et grandiront après nous, porteront leurs yeux à jamais sur cette énorme tristesse.
Quelques-uns prétendent l’ignorer.
Quand l’oiseau poursuivi ne peut s’échapper, il cache sa tête pour ne pas voir et croit ainsi tout danger conjuré.
Mais l’intelligence de l’homme doit être supérieure à celle de l’oiseau.
Ceux qui cherchent la paix dans les ténèbres ne trouveront pas la Lumière.
Tenons-les pour les plus nécessiteux.
Quant aux autres, ils regardent et cherchent à voir avec des yeux voilés de larmes; et quand la mort ferme leurs paupières, leur dernière vision est celle d’un monde qui roule, telle une larme, dans le néant.
Au dedans, au foyer, dans l’âme, il y a de la chaleur; au dehors, l’air est glacé et les carreaux sont couverts de givre.
II
D’aucuns pensent qu’il n’y aurait point de misère si tous travaillaient.
Ils pensent bien. Mais ils pourraient penser mieux.
La somme de travail est supérieure aux nécessités de l’espèce.
Cependant, tout homme ferme avec un déficit le bilan de sa vie.
Tous les peuples vivent avec insuffisance de pain et de joie.
Toutes les époques ont péri aux mains de l’infortune.
Il ne suffira donc pas de supprimer les paresseux. Il sera nécessaire de rétribuer le travail équitablement.
Si le paresseux est pernicieux, l’homme qui fait le travail comme une bête de somme l’est aussi.
Le manque de coordination dans l’effort est une autre triste réalité.
Lutte épouvantable que celle des hommes dans leur travail!
Ils déroulent leurs activités en orbites séparées, chacune avec un centre différent, de façon qu’à tous les points où les orbites se croisent, les activités sont détruites.
Ainsi, celui qui se servirait de cent énergies, en emploiera mille. L’excès se gaspille à contrecarrer le labeur des autres travailleurs.
Voyez les sacrifices monstrueux que fait chaque individu, chaque entreprise, chaque corps de métier pour détruire l’œuvre d’autrui.
La lutte contre la douleur échouera tant que ceci ne sera pas compris, tant que durera la grande misère qui provient de la stérilité et de la dureté des cœurs.
III
D’autres pensent que par la faute des méchants, la misère ne finit jamais.
Depuis toujours, ils font payer cette faute avec la hache ou le poison, avec le bûcher ou la guillotine, avec le fusil, la corde ou la chaise électrique.
Beaucoup de ceux que l’on croit méchants sont moins féroces qu’eux.
Sans la miséricorde de la nature qui dissout et transforme tout, l’œuvre de ceux qui se croient bons irait au delà de l’atmosphère. Il n’y aurait point de montagnes aussi hautes que celles qui s’élèveraient avec les ossements des méchants; il n’y aurait point d’endroit au monde pour amonceler ou enterrer tant de dépouilles humaines.
Cependant la méchanceté continue. Ils ne l’extermineront pas, même s’ils transforment le monde en prison, et même s’ils font rougir les mers avec leur bonté.
Donc, avant d’exiger le châtiment, demandez-vous si la méchanceté de celui qui enterre les vivants n’est pas plus grande que la méchanceté de celui qui pourrit en prison; si la méchanceté de celui qui érige le gibet n’est pas plus grande que celle du pendu.
Mais les bons qui ne tuent ni ne volent sont coupables aussi.
Ils voient l’interminable caravane des âmes assoiffées de plaisir. Ils voient comment chaque vie disparaît dans les sables du désert, tel un puits toujours à la recherche de l’eau qui apaise la grande soif. Et ils ne mettent point l’eau rédemptrice à la portée des bouches dont l’avidité fait pleurer.
Mais il y a celui qui connaît la source, qui sait ce que tous cherchent, qui voit la caravane passer devant les vertueux et poursuivre son chemin avec sa grande soif, à travers l’immense désert.
Après la dernière étape, quand le chameau succombe, quand le voyageur s’étend sur le sol, que le sable le couvre et que la caravane poursuit son chemin, il y a celui qui voit tout. Et il voit le méchant, en proie au martyre qui a recouvert sa fausse joie, et il voit le soi-disant bon, rassasié de plaisir, dissimulé sous son hypocrisie.
Ce qui fait les bons et les méchants peut changer.
Certains, peut-être, croient leurs peines trop légères. D’autres, par contre, croient leur fardeau trop lourd.
Laissez donc de côté les bons et les méchants, les fautes et les châtiments.
La grande misère qui attriste le monde et votre vie, qui peut la soulager? Voilà les deux faits, les deux vérités que vous devez contempler.
IV
D’autres disent que l’homme échapperait à sa misère s’il perdait l’instinct de la propriété.
Sans propriété individuelle il n’y aurait point de liberté.
L’homme ne serait pas son propre maître. Il aurait un carcan et une chaîne et il suivrait celui qui lui donnerait ses aliments et dirigerait sa destinée sociale. Pour lui épargner l’exploitation, on lui propose de retourner à l’esclavage.
Sans propriété individuelle, la seule égalité possible disparaîtrait, celle qui nous fait égaux devant la conséquence finale de chaque acte et rend droit à la justice de Dieu. Il n’y aurait personne pour établir l’égalité, une fois que la loi naturelle de la compensation serait brisée.
Sans propriété individuelle il n’y aurait pas d’espoir de fraternité. La haine, comme une peste, se propagerait parmi les esclaves. Les défauts du système susciteraient des aversions féroces. Les maîtres hypocrites apprécieraient de telle façon le travail de chaque esclave, qu’aucun ne serait satisfait. La simulation et l’astuce s’érigeraient en qualités victorieuses, substituées aux qualités réelles qui prédominent aujourd’hui et qui prédomineront davantage dans l’avenir.
Ce n’est point la propriété en soi, mais ses mauvaises origines et ses perversions qui augmentent la misère de la vie.
L’acquisition de biens par la violence ou la fraude occasionne l’excès de richesse et son mauvais usage; ce sont là des fautes qui portent leurs châtiments en elles-mêmes et que la culture seule pourra éviter.
Ce qu’il y a de plus pernicieux dans le droit de propriété est son application erronée.
Ce qui est nécessaire ne peut être accaparé, et ne peut être monopolisé, en toute justice, par un homme ou par une classe. Ceux qui s’approprient d’énormes étendues de terrain ou n’importe quelle chose indispensable à autrui, sont fautifs.
Les contrefaits de corps ou d’âme sont les témoignages vivants de l’abus du droit de propriété. Doit être considéré fautif aussi, celui qui étend ce droit aux biens nécessaires aux autres, comme celui qui mutile ou tue un être humain.
Et ainsi vous soulagerez la misère qui afflige celui qui possède des biens superflus et celle de celui qui se prive du nécessaire.
V
D’autres divisent l’humanité entre riches et pauvres, et s’accusent mutuellement de la misère qui dévore leur cœur.
Ils appellent riches ceux qui possèdent en abondance des biens matériels; mais ils ne jugent pas la richesse en soi, comme ceux qui condamnent la propriété, mais sur les circonstances qui entravent ou facilitent la richesse. « Vous n’êtes pas riches sans raison. » « Vous n’êtes pas pauvres sans raison », se disent-ils, et ils se regardent soupçonneux.
Mais lorsque le chameau se couche, quand s’élève le vent qui apporte le sable qui ensevelit, les riches et les pauvres tremblent comme s’ils étaient sur l’échafaud, et ils cherchent en eux-mêmes la cause de leur crainte, pareils à une femme qui cherche une aiguille dans une salle de bal.
Ne sont-ils pas tous égaux? Les pauvres ne furent-ils pas riches? Les riches ne furent-ils pas pauvres? Les pauvres eux-mêmes ne sont-ils pas les pires ennemis des pauvres?
Et si le riche doit sa richesse à quelque vice, le pauvre ne doit-il pas sa pauvreté à quelque vice plus grand?
Pauvres, ceux qui ont volé le travail des autres; pauvres, ceux qui, par égoïsme, sont condamnés aux excès de nourriture; pauvres, ceux qui ne boivent jamais d’eau; ceux qui n’ont pas besoin de travailler; ceux qui tuent le temps pour éviter l’ennui; ceux qui satisfont tous leurs désirs; ceux qui deviennent avares; ceux qui savent que l’argent achète tout; ceux qui ont volé la terre du paysan et séparé la mère de l’enfant pour en faire une nourrice; ceux qui profitent des mains et des épaules des autres; ceux qui sont durs de paroles et ont un regard orgueilleux; ceux qui ont une bosse en or et croient que personne ne la remarque; ceux qui apportent des offrandes, des joyaux aux saints des églises et passent insensibles devant les enfants qui tremblent de faim et de froid; pauvres, ceux qui marchent sans connaître le chemin; pauvres, ceux qui sont courbés sous un fardeau inconnu; pauvres, ceux qui courent sans connaître leur but.
Sont riches, ceux qui connaissent la paix, les sobres et les justes; ceux qui se réjouissent de la gaîté de leur bon cœur et ne volent pas celle d’autrui; ceux qui sèment et moissonnent de leurs propres mains et ne demandent rien au travail des autres; ceux qui peuvent se montrer tels qu’ils sont et n’ont pas besoin de nier ou de défigurer la valeur des autres; ceux qui ne se déçoivent pas, se jugent en toute franchise, et peuvent apporter aux autres leur bien, leur paix, leur joie et leur richesse, et qui donnent, avec la bonne parole de la vérité et la charité bien comprise, la justice.
Ne vous regardez pas avec soupçon. Regardez vos cœurs et vos âmes.
Ne vous lavez pas seulement le corps. Lavez aussi votre âme.
Ne vous accusez pas les uns les autres; détruisez votre propre misère et la misère du monde sera détruite.
VI
D’autres croient que la misère existe parce qu’il n’y a pas de charité.
Tout d’abord, pour faire la charité digne d’admiration, il faudrait la faire en secret.
Mais votre charité ressemble à une affaire où vous trafiquez avec les peines des affligés. Que de malheureux! Réjouissons-nous. Que de tuberculeux! Amusez-moi. Que d’enfants affamés! Offrez-moi un festin. Donnons une grande fête.
Et puis, il faudrait savoir si vous donnez ce qu’il faut au moment précis et en quantité suffisante.
Comment savez-vous si vous donnez ce qui vous appartient?
Pourquoi la charité est-elle nécessaire?
Combien devez-vous donner?
La mère se trouve forcée d’abandonner son fils: une nourrice âpre vient se charger d’élever l’enfant. Voilà votre charité!
Le vieux travailleur se réveille sur le seuil d’une porte. Il tousse et regarde tristement autour de lui. Ses mains ont construit bien des murs, mais il n’a même pas une cave pour s’abriter. Quelqu’un survient, le prend et le conduit à l’antichambre de la mort. Voilà votre charité.
Le propriétaire des tristes maisons où les enfants languissent, privés de soleil et d’air pur, avec des parois humides en guise de prairies, donne une somme d’argent pour combattre la tuberculose.
Le riche a pitié des pauvres dont on lui parle, et il donne son obole.
La véritable charité exige que la mère puisse vivre sainement, honorablement, et qu’elle nourrisse son enfant du lait de son sein et de son cœur.
Que le travailleur soit payé équitablement pendant sa vie et que les bons le dirigent vers le bien.
Que personne ne profite de la santé de son prochain.
Que le riche ait pitié des pauvres qu’il voit, des pauvres dans sa propre maison: ses employés, ses ouvriers, ses domestiques, qui sont nécessiteux aussi, puisqu’ils travaillent pour lui.
Mais au lieu de donner ceci, qui est amour, vous ne donnez que ce que vous avez de trop; vous donnez à l’un ce qui appartient à l’autre; vous renversez et détournez la justice, comme des voleurs du travail d’autrui, que vous êtes.
Telle est votre charité, engendrée et nourrie par l’égoïsme!
Il n’y a pas de mot plus triste que le mot charité. Elle est descendue du ciel pour enseigner la justice aux hommes et vous l’avez transformée en instrument d’iniquité.
Un jour, déçu, Jésus se sépara de la foule: ce fut lorsqu’il comprit qu’elle le suivait, attendant la répétition du miracle des pains. Mais vous distribuez des pains chaque jour avec beaucoup de satisfaction, et ce n’est ni un miracle, ni une action honorable pour vous. Vous devriez avoir honte. Si la justice régnait, ce que nous appelons charité ne pourrait exister.
La véritable charité ne consiste pas à donner aux nécessiteux, mais à éviter le besoin.
La véritable charité consiste à donner le tout, non le tout de celui qui donne, mais tout ce qui de droit revient à celui qui reçoit.
Enfin, la véritable charité ne consiste pas à donner mais à reconnaître le droit des autres.
VII
Il y a ceux, enfin, qui affirment que la misère de l’homme subsiste à cause de son ignorance. Mais dès qu’on essaye de savoir ce qu’ils entendent par ignorance, on constate alors avec douleur que chacun dénomme ce qu’il sait « Sagesse » et ce que savent les autres « Ignorance », car les connaissances se compensent et chacune est limitée et imparfaite.
Celui qui suit la course des astres ignore peut-être ce qui se passe chez lui. Celui qui résout les problèmes les plus ardus n’a pas de solution pour le problème de sa vie. Et il y a celui qui, cherchant le pourquoi de toutes choses, ne s’est pas cherché lui-même.
Car la sagesse qui vient de Dieu peut atteindre aussi bien l’humble laboureur pendant le jour et l’astronome la nuit, et elle dure à jamais. Mais la sagesse de l’homme change avec chaque époque et avec chaque époque elle meurt. Telles des fleuves vers la mer, les sciences convergent vers le mystère de la matière et de la force.
Ainsi comme le chien guide l’aveugle, celui qui ne sait rien est l’appui et le soutien de celui qui croit savoir beaucoup mais qui ne voit rien. Car il ne comprend pas que le monde est une barque refaisant sans cesse le même voyage et que seuls les voyageurs changent. Il ne voit pas les âmes qui s’envolent en ruchée après un nouvel apprentissage. Et il cherche le bien et le progrès dans ce qui reste au fond de la barque.
VIII
Mais Jésus a enseigné aux Occidentaux que la misère serait détruite par l’Amour.
Après Lui, soixante générations se sont succédé et soixante générations ont essayé de détruire sa doctrine. Vous avez écrit des milliers de livres, vous avez rendu hommage à des centaines de sages, vous avez inventé des mots et des systèmes pour expliquer le bien et le mal. Mais la misère persiste et chaque siècle voit augmenter votre confusion.
Il est vrai que Jésus est crucifié avec les clous de votre égoïsme. Mais un jour il faudra que vous Le descendiez de la croix et que vous Le laissiez vivre parmi vous.
Vous tuez votre semblable. Tuez plutôt les perfidies qui s’enroulent comme des serpents autour de votre cœur.
Vous éclairez les temples et vous vous prosternez devant des images. Éclairez votre conscience. Agenouillez-vous devant les victimes de votre perversité.
Vous pleurez Jésus; mais vous ne Le connaissez point, car si vous Le connaissiez, vous sauriez qu’Il n’est pas mort et qu’Il ne mourra jamais. Pleurez sur vous-mêmes; attendrissez votre cœur avec vos larmes.
L’amour peut tout et doit améliorer la vie.
L’amour couvrira de fleurs les tristes murs de votre demeure et les oiseaux des forêts y feront leurs nids.
Mais les oiseaux, gais et bons, s’enfuient à votre approche; s’ils ne peuvent s’envoler, ils se cachent, et s’ils ne peuvent se cacher, ils tremblent, car vous n’aimez pas.
On parle du bien, de la vérité, de la beauté, mais tout est amour, et sans amour vous ne connaîtrez rien intégralement.
On désire le triomphe et le progrès; mais tout est amour et sans amour rien qui vaille la peine ne s’obtient.
L’homme peut tourner la roue des vanités, maintes et maintes fois, mais cette vérité sera la seule qui jaillira.
Parce qu’il y a peu d’amour, on pleure à chaque étape et au moment de la mort.
Votre peine devant vos morts est plus grande quand vous pensez que vous leur avez prodigué moins d’amour qu’ils n’en demandaient.
Préparez un bon sommeil en aimant toute la journée.
Préparez une bonne mort en aimant pendant la vie.
Aimez le riche accablé de richesses et le pauvre qui envie le riche.
Détournez vos yeux du voleur et de l’imposteur et regardez, chez eux, la femme et les enfants qui l’attendent.
Aimez les inconnus, car vous ignorez combien ils vous ont aimé pour que vous viviez encore.
Aimez aussi les sales et les difformes, ceux à la langue mauvaise et aux regards perfides, ceux aux doigts de poignard, parce que vous êtes en partie responsables de leur malheur et votre amour seul peut être leur rédemption.
Aimez les fils d’autrui et vous apprendrez à aimer vos fils.
En voyant un homme, pensez aux rêves de sa mère quand elle le berçait dans ses bras. Si son rêve s’est accompli, aimez l’homme bon; si son rêve ne s’est point réalisé, aimez cet homme au nom de sa pauvre mère.
Et ainsi vous apprendrez à vous aimer, car vous ne vous aimez même pas, quand vous cherchez votre bien dans le mal, votre plaisir dans l’excès et la douceur dans le fiel de l’égoïsme.
Tout ce que l’homme jette à la mer, la mer le lui retourne. Mille fois, il le jettera et mille fois, les vagues le lui rapporteront.
Ainsi est aussi la mer de l’infini. Mille fois, vous vous priverez d’un bien pour le donner à d’autres et mille fois, il vous sera rendu. Aimez sans mesure et on vous aimera de même. Donnez votre vie, et une autre vie, meilleure, vous sera donnée.
Quelqu’un vous rendra le mal pour le bien, mais ce ne sera pas la vie, et ce mal ne sera ni positif ni éternel. La vie rend ce qu’elle reçoit.
Il vous semblera que vous recevez le bien pour le mal. Ne vous y trompez pas. La moisson du mal est le mal.
Aimez le Soleil qui vous donne l’amour de sa lumière et la voûte étoilée qui vous couvre de son manteau de paix lorsque vous dormez. Aimez les arbres qui vous donnent tout ce qu’ils ont et ce qu’ils peuvent produire par leur travail et dont les paroles s’expriment dans la beauté et la douceur de leurs fruits. Aimez les oiseaux qui ne semblent que de gentils chanteurs vagabonds, mais qui, sérieux, font leurs nids, surprenantes demeures, et élèvent leurs oisillons au prix d’incomparables sacrifices et avec la tendresse d’un aïeul.
Aimez tous les êtres, car même le serpent ne mord que lorsqu’il est blessé et il garde votre récolte contre les rats dévorateurs. Aimez toutes choses, car même le poison, selon les doses, tue ou guérit; comme toute vertu se prostitue par la haine, tout vice tamise sa laideur à travers l’amour.
Là où un homme sème une graine et en récolte dix, avec plus d’amour vous en récolterez cent.
Aimez celui qui élève sa colère contre vous et sa colère s’apaisera. Aimez-le davantage encore et il vous aimera.
Tant que vous n’aimerez pas, votre vie sera triste, telle une femme qui pleure sous un pêcher en fleur.
Car l’amour est la vie et si nous n’aimons pas, nous sommes des morts-vivants.
Car l’amour est la lumière, et si la lumière manque, les ténèbres envahissent notre âme.
Car l’amour est la joie, et tant que vos connaissances n’assimileront pas cette vérité, la misère vous rongera et vous tourmentera.
Aimez la nature et elle apaisera votre angoisse. Aimez les hommes et ils partageront vos douleurs. Aimez Dieu et Il illuminera votre esprit.
Constancio C. VIGIL, Terres en friche, 1946.
Traduit de l’espagnol par Mathilde Camacho.