L’ortolan
Si l’amour à ton cœur a fait une blessure
D’une main qui la rend impossible à guérir,
Tu chercheras le calme ou la paix qui rassure
Sans pouvoir les trouver, et tu voudras mourir.
Mais fuis le Désespoir, seul il veille à cette heure,
Et saisit de ses bras plus glacés que la mort
Notre âme qui chancelle alors, gémit et pleure.
Hélas ! que de tombeaux a faits ainsi le sort !
Pour ton cœur en détresse, écoute, il est un baume
Que ne vaudront jamais ni l’oubli ni le temps :
Suis la sente où la sauge exhale son arôme ;
Là règne sans sourire un austère printemps.
Puis, assieds-toi sur l’herbe, au pied d’un bayahonde ;
Et laissant reposer ton souffle haletant,
Alors entends venir, solitaire en ce monde,
Dans le vent qui bruit, le chant de l’ortolan.
Quelle paix en nos cœurs met la voix du silence
Qu’interrompt par instants la plainte de l’oiseau !
On se laisse bercer de douce somnolence,
Comme une feuille glisse au miroir d’un ruisseau.
Écoute ces soupirs, c’est une angoisse humaine,
Celle d’une âme sœur qui redit tes douleurs
Si bien que doucement tu sentiras sans peine,
Ô mystère ! couler l’effluve de tes pleurs.
Tu regarderas fuir tes anciennes alarmes ;
Et mourir tes sanglots ; tu connaîtras ces lois :
Que le champ d’ici-bas pour rosée a les larmes ;
L’homme y croît en douleur comme l’oiseau des bois.
Et quand tu reprendras la sente solitaire,
L’Angélus au lointain t’annoncera le soir.
Tu sentiras ton âme exhaler la prière,
Et de ton cœur brisé naître un suprême espoir.
Jean-Joseph VILAIRE.
Quinze ans de poésie française à travers le monde,
Anthologie internationale,
textes rassemblés par J. L. L. d’Arthey,
France Universelle, 1927.