Mon père et Dieu le Père
D’Abraham à Ramon, de Priam au roi Lear,
Les poètes fameux ont célébré le père,
Ce roi de droit divin, qui par toute la terre
Détient le seul pouvoir qu’on ne peut abolir.
Beau fut le mien, pareil en sa secrète gloire
Qui ne dépassait pas la cendre du foyer,
À ces graves pasteurs des siècles tout premiers
Qu’ont évoqués la Bible et la plus vieille histoire.
Plus grand que le plus grand de nous, c’était le chef,
Image de ce Dieu qui jadis le fit naître
D’un autre père, ainsi que lui souverain maître,
Qui menait sa maison d’un geste et d’un mot bref.
Je le craignais autant que je l’aimais. On aime
Toujours avec transport, mais non pas sans effroi,
Tout reflet de Celui qu’on nomme Roi des rois
Et qui garde en sa main la puissance suprême.
Le sein de notre mère était l’asile chaud
Où l’on brave la peine en oubliant la vie,
Tandis que retentit à l’oreille ravie
La berceuse apaisante ou les suaves mots
Des séculaires chants, harmonieux et beaux,
Transmis de mère en fille au fil des ans qui fuient.
Mais quand le père ouvrait sur nous ses larges bras
De bien moins douce, mais de bien plus forte étreinte,
Notre cœur tressaillait d’orgueil, ivre de crainte,
Comme si le Seigneur était passé par là.
Or, maintenant, mon Dieu, je songe que cet homme,
Si cher, si beau, si fort, si grand,
Dont je reste ici-bas le fils selon le sang
Et que, comme jadis aujourd’hui je ne nomme
Qu’avec un saint respect et le cœur tout tremblant,
Ne fut pour vous, Seigneur, qu’une humble créature,
Qu’un tout petit enfant, débile Éliacin,
Malheureux comme Adam exilé du jardin,
En proie à tous les maux de l’humaine nature.
Seigneur, unique Père et seul Maître, mon Dieu,
Si grand fût-il, mon père à peine fut votre ombre.
Seul vous êtes parfait. Nul homme ne dénombre
Les rayons des regards qui tombent de vos yeux.
Il faut que vous soyez de grandeur sans mesure
Pour dépasser mon père et le réduire à rien.
Quel est donc votre amour pour effacer le sien ?
Je ne vois plus en lui qu’une pâle figure
De vos perfections, Seigneur, Père Divin.
Je n’aimerai donc plus mon père qu’en vous-même,
Car il ne fut mon père et je ne fus son fils
Qu’autant que vos décrets, mon Dieu, l’avaient permis
De toute éternité, bien avant l’aube extrême
Des premiers jours du monde et du frais paradis.
Recevez, ô mon Dieu, l’offrande misérable
De ma pauvre âme lâche et pleine de péchés.
Je vous possède enfin, vous ayant tant cherché.
J’aimerai d’autant mieux les hommes, mes semblables.
José VINCENT.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.