La bûche du foyer

 

 

              Tandis que ma bûche pétille,

              Des ans je remonte le cours :

              Les temps reculent, et l’aiguille

              Marque les heures à rebours.

 

              Je pense aux amis du jeune âge

              Dont les mains ont pressé ma main,

              Qui faisaient le même voyage

              Et que j’ai laissés en chemin ;

 

              Je songe aux lèvres parfumées,

              Roses dont je goûtai le miel,

              Et dont les corolles fermées

              Se sont rouvertes dans le ciel ;

 

              Je sens une larme furtive

              Et me hâte de l’essuyer.

              Mais voilà qu’une voix plaintive

              Semble sortir de mon foyer :

 

              C’est la vieille bûche qui pleure

              En se mourant sur les chenets.

              Se voyant à sa dernière heure.

              Elle exhale ainsi ses regrets :

 

 

                                              LA BUCHE.

 

 

              Hélas ! j’ai vu de mon feuillage

              Les joyeux oiseaux envolés,

              Ma forêt livrée au pillage,

              Mes jeunes rameaux mutilés.

              De mousse et de feuilles parée,

              Que de peintres m’ont admirée !

              Jeunesse et beauté durent peu.

              Bien qu’aujourd’hui tout m’abandonne,

              Je n’ai pas toujours été bomme,

              Comme on dit, à jeter au feu.

 

              Le rossignol en robe brume

              Sur ma branche venant s’asseoir,

              Pour les oiseaux, au clair de lune,

              Chantait la prière du soir.

              Le lierre étreignait mon écorce,

              Comme on voit l’enfant avec force

              Embrasser le col maternel :

              J’étais la fille d’un vieux hêtre

              Qui, de bonne foi, pensait être

              L’une des colonnes du ciel.

 

              Géant superbe, il pouvait croire

              Que le temple immense des nuits,

              Tendu de velours et de moire,

              Avait ses longs bras pour appuis ;

              Et quand dans la nef solennelle

              S’allumait la lampe éternelle,

              Il disait aux arbres du bois :

               « À mon ombre croissez en foule ;

              Ne craignez pas que le ciel croule :

              Je ne fléchis point sous son poids. »

 

              Je conviens que dans ma disgrâce

              Je passe encor d’heureux moments :

              J’entends se parler à voix basse,

              Près de moi, des couples d’amants ;

              Lorsque au dehors souffle la bise,

              En cercle la famille assise

              Me sourit et veut me choyer ;

              Comme une aïeule vénérée,

              On interroge à la soirée

              La vieille bûche du foyer ;

 

              Le vieillard s’approche de l’âtre

              Et bénit les présents des cieux ;

              À ce beau feu vif et folâtre

              Sa jeunesse rit dans ses yeux.

              L’enfant pousse des cris de joie,

              Et vers la flamme qui tournoie

              Il étend ses petites mains :

              Ainsi l’oiseau saute et babille

              Quand un rayon de soleil brille

              Parmi les herbes des chemins.

 

              Ah ! si du moins, tige arrachée

              Au sol de mon vallon natal,

              Mes bourreaux m’avaient attachée

              Au flanc d’un colosse naval !

              Le bâtiment, loin de la rive

              M’entraînerait, noble captive,

              Sur les vagues et sous l’éclair,

              Son mât semblerait un grand hêtre,

              Et je reverdirais peut-être

              Aux fraîches brises de la mer !

 

              Mais mourir loin de ce que j’aime,

              Loin de mes bois verts et fleuris,

              Loin des rayons du soleil même

              Qu’en ces lieux on traite en proscrits ;

              Faire, tristement consumée,

              Maintenant un peu de fumée,

              Un peu de cendre après ma mort !

              Moi, la fille des forêts hautes,

              Qui bercent en chantant leurs hôtes,

              Je méritais un meilleur sort !

 

 

                                               LE POÈTE.

 

 

C’est notre sort à nous ! Ces flots de vapeur grise

Que pompe le soleil et qu’emporte la brise,

Hélas ! furent des corps aussi.

La poussière du sol qu’un tourbillon soulève

A vécu comme nous, a fait le même rêve,

              Et le vent nous balaye ainsi !

 

Puisqu’une même fin tôt ou tard nous rassemble,

Comme deux bons amis nous causerons ensemble,

Nous parlerons des jours passés.

Moi, les regards fixés sur l’âtre où tu flamboies,

Je songe à mon enfance, à ses naïves joies,

              À ses chagrins vite effacés.

 

Je crois revoir encor la cheminée énorme,

Reposant lourdement sur un couple difforme

De vieux monstres de granit noir

Aux ventres rebondis, et dont un long usage

Avait enfin rendu le grotesque visage

              Aussi reluisant qu’un miroir.

 

La vieille qui régnait en tyran sur l’office

Gémissait de me voir, enfant plein de malice,

Prendre sa cuisine d’assaut,

Renverser quelque plat, casser quelque vaisselle :

C’était un vrai massacre ; aussi m’assurait-elle

              Que je mourrais sur l’échafaud.

 

Comme je dévorais, à la lueur de l’âtre,

Ces légendes des preux dont j’étais idolâtre,

Les combats avec le dragon,

Les méfaits des géants aux figures étranges,

Et les magiciens vaincus au nom des anges

              Malgré le pouvoir du démon !

 

Mais déjà tu te meurs dans ta robe de cendre.

En te disant adieu, je ne puis me défendre

D’un autre souvenir, bien triste cependant :

Il vient mouiller mes yeux chaque fois que j’attise

Le feu près de s’éteindre, et que j’entends la bise

              Fouetter mes vitres en grondant.

 

Il est, pendant l’enfance, une heure solennelle

Qui laisse dans la vie une trace éternelle :

C’est cette heure où la mort de son doigt redouté

Vint à notre foyer faire une place vide,

En mettant sur un front immobile et livide

              Le sceau de l’immortalité.

 

Une nuit, je veillais au lit de mon aïeule.

Pour tout autre invisible, entendu d’elle seule,

Quelqu’un semblait alors lui parler doucement.

La paix du ciel brillait sur sa figure austère.

Bien jeune, je compris qu’un imposant mystère

              S’accomplissait en ce moment.

 

Puis, calme et souriante, elle voulut renaître ;

Devant un beau feu clair dont la chaleur pénètre,

Dans son large fauteuil de velours à clous d’or,

Elle se fit porter pour regarder les flammes

Monter en tournoyant dans l’air, comme des âmes

              Qui vers Dieu prendraient leur essor.

 

Consumée à demi, la buche au fond de l’âtre

Ne jeta bientôt plus qu’une lueur rougeâtre,

Et cessa tout à coup d’éclairer le foyer.

De l’aïeule une main vint fermer la paupière :

On couvrit son visage, et la famille entière

              Se mit à genoux pour prier.

 

 

 

Édouard WACKEN.

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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