Rêverie
Toi qui vas promener ta douleur solitaire
Sur les sommets neigeux, sur le sable brûlant ;
Toi dont le pied se pose à peine sur la terre,
Comme l’oiseau craintif sur le roseau tremblant ;
Voyageur, pour finir ta course vagabonde,
Pour reposer ton front de fatigue abattu,
Parmi tous les palais, tous les Édens du monde,
Quel palais enchanté, quel Éden choisis-tu ?
Est-il dans les forêts de la verte Italie,
Terre des folles nuits, des jours silencieux,
Où, quand le soir répand la rosée et la vie,
La molle volupté tombe du haut des cieux ?
– Non : c’est le coin de terre où mon âme isolée
Retrouvera sa sœur, jadis perdue au ciel,
Où par un saint amour elle sera doublée,
Où Dieu commencera son bonheur éternel !
– D’une terre arrosée avec le sang des braves,
Toi qui viens dans l’exil chercher la liberté,
Toi qui des sourds cachots sus rompre les entraves,
Dis-moi, quels murs d’airain dompteront ta fierté ?
Les tyrans devront-ils, afin de te séduire,
De perfides faveurs entourer tous tes pas ?
Si des chaînes de fer ne purent te réduire,
Faut-il des anneaux d’or pour enchaîner tes bras ?
– Non ; pour courber mon front, il ne faut qu’un sourire.
Et, pour lier mes mains, des tresses de cheveux :
Il ne faut qu’un seul mot d’extase et de délire
Pour me faire oublier ma patrie et mes vœux !
– Enfant, qui sens déjà sur un lit d’agonie
Dans ta poitrine en feu le souffle se tarir,
Quand ton cœur sera froid, et ta douleur finie,
Réponds-moi : dans quels lieux faut-il t’ensevelir ?
Dis : t’élèverons-mous, ainsi qu’une montagne.
L’obélisque géant fait du plus dur granit ?
Faut-il qu’à ce tombeau la foule t’accompagne.
Mêlant sa voix qui chante à l’airain qui gémit ?
– Oh non ! un tertre obscur auprès de sa demeure,
Une humble croix de bois qu’elle arrose de pleurs :
Qu’à chacun de ses jours elle dérobe une heure
Pour y renouveler la couronne de fleurs !
Édouard WACKEN.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.