Fenêtre vers l’Orient

 

 

Comment naquit-elle cette peine,

au point du jour, lorsque les premiers caractères du temps

tissèrent une vraie trame de soie pour une élégie imprégnée de camphre ?

Lorsque des mains blanches posèrent sur notre oreille l’écho

des funérailles de spectres dans les temps à venir ?

Lorsque, devant les volets qui soupirent, défilèrent d’abord

ces hommes des âges révolus portant des pelles de fer ?

quel fil était caché lorsque les doigts d’un enfant

arrachèrent aux pâles étoiles les courtines des ombres ?

 

Une nuit étoilée

glissait dans les plis des rideaux un parfum de linceul

et les cieux immuables incitaient les lèvres mortelles

à unir les souvenirs de la Terre aux nuages errants.

Puis, la nuit aux berceaux dérobés par l’éclipse

enseigna la superstition, pendant que la tête restait immobile ;

lors, des feuilles séculaires fixèrent leurs premières racines dans la tombe

et une lune glacée, avec l’implacable volonté du désir,

aspira entre les arbres les vagues aveugles qui ne se trompent jamais.

 

Telle fut l’origine de Dieu.

D’un coup il ébranla les piliers taillés à la base du monde ;

la terre et les volcans et les mers sonores comme des carillons ;

Adam, qu’Il avait pétri dans le limon, lancé dans ce chaos

laissa le mammouth de la douleur sur les arêtes des cailloux.

Entre les fils brillants de l’aube, par la déchirure du voile, je vois

la rencontre de quatre légendes au croisement de quatre vies.

O naissance, ce quadruple réveil a déferlé vers moi

plus beau que la Terre et plus doux que la mousse verte.

 

Une gerbe d’arc-en-ciel

a brillé, s’est évanouie, perdue, puis a brillé encore,

éclatement de lumière jailli de l’arc tendu à bout de bras

révélant, sous les paupières closes, une austère déesse

Contre l’inertie de ce roc, dans les ténèbres.

Noyée, la figure de proue de l’amour, tenant une harpe sans cordes,

aussi muette que Léviathan, parachevait une frise.

 

Je l’ai vue luire dans le frisson des couleurs et, sa jeunesse reconquise,

d’une main vivante, faire éclater la musique des mers.

 

Tiré du sommeil

comme d’un coquillage paré de toutes les lueurs du hasard,

j’ai bondi pour retrouver l’éblouissante toison des vagues,

membrane sonore qui porte la danse des eaux

jusqu’à l’oreille miraculeuse, paix ventrale

arrachant au roc sans vigueur l’étincelante coulée de sang,

les spirales lumineuses de la chute

qui marient le jour mortel à l’immortelle lumière

avec son cortège rituel de bêtes, d’oiseaux et de poissons.

 

Une montagne se dressa ;

sur ses pentes les foules attentives étaient répandues.

Ceux qui levaient les yeux pouvaient voir, derrière les paroles de Dieu,

la métamorphose des distances, tandis qu’Il rompait le pain.

Il purifia le temple à coups de cordes,

s’arrêta lorsque la femme toucha l’ourlet de Sa robe,

ressuscita les morts, sauva l’adultère, et révéla

aux aveugles la lumière. Il était l’amour et Sa mort

scella par le sang la promesse de leur résurrection.

 

Du rocher comme du mal

la douleur, d’abord, se déroule et croît comme une fleur,

monte de la musique des ténèbres jusqu’aux moissons de cailloux sur la terre,

monte de la musique assassinée jusqu’à la tour du prisonnier,

tracée d’un diamant malhabile tandis que le temps coulait dans le sablier.

Des métiers silencieux où les Ombres aveugles tiennent

leurs navettes difformes d’où se dévident toutes les trames,

j’aperçus, telle une vision projetée par l’écheveau du sommeil,

l’envolée de l’esprit et les jeunes mains de l’amour se rejoignant sur le soleil.

 

 

 

Vernon WATKINS.

 

Traduit par F. Dufau-Labeyrie.

 

Recueilli dans La poésie anglaise,

par Georges-Albert Astre,

Seghers, 1964.

 

 

 

 

 

 

 

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