La plume
Je recueille à mes pieds une plume d’oiseau de mer
tombée sur la grève,
arrachée à une aile merveilleuse chassée par le vent ;
quel savoir puis-je acquérir ou léguer
en promenant mes doigts dans ses barbes
ou sur son arête de corne ?
Le corps dont elle a été arrachée
a poussé un cri si aigu
que les yeux des matelots ont quitté leur route blanche
pour voir quel appel leur venait de là-haut
et les vents sont accourus vers cette goutte de sang
tombant du haut du ciel noyé,
lâchée par le bec de l’épervier des mers,
par de furieuses griffes acérées ;
lors, si je prononce les paroles qui leur ont échappé
que ce soit au son de cette harpe,
sous la mer étrange, en proie à la lumière,
où flotte une paille du nid.
Si je n’écris pas cette mélodie,
les morts peuvent-ils reposer en paix ?
Vertigineuse dans l’espace jusqu’à ce désert
la victime est tombée ;
la corne en forme d’étoile est insondable,
perdue dans le vent et les embruns.
Cette créature solitaire et désolée
frémit au cœur de leur musique.
Je pose mon doigt sur la corde
qui fait tournoyer les siècles.
Mais qu’elle dorme, qu’elle dorme
avec le coquillage et le caillou rejetés par les eaux ;
de son extase les Furies sont gardiennes
car ici rien n’appartient au passé.
La perfection doit s’envoler dans la nuit
et les vents en conviennent ;
mais l’aveugle rocher, comment saurait-il
apaiser les fringales de la mer ?
Vernon WATKINS.
Traduit par F. Dufau-Labeyrie.
Recueilli dans La poésie anglaise,
par Georges-Albert Astre,
Seghers, 1964.