Nuées
Terre : Terre !
Salut ! charmants et doux nuages
Qui visitez, du haut des cieux,
Tant de climats et tant de plages
Que ne verront jamais nos yeux.
Quel vent jaloux vous précipite
De l’orient vers l’occident ?
Dites ! où courez-vous si vite,
Toujours cherchant et regardant ?
Quel doux spectacle vous attire
Pour hâter ainsi votre essor ?
Quel mystère vous fait sourire
Même à travers vos larmes d’or ?
Connaissez-vous quelque rivage
Où l’homme ignore la douleur,
Où jamais l’éclair d’un orage
Ne trouble la paix de son cœur.
Où jamais l’ombre de vos ailes,
Traversant des cieux nus et morts,
Ne flotte sur des champs rebelles
Qui lui refusent leurs trésors ;
Où le spectre de la misère
Ne mêle jamais ses sanglots
Aux cris sauvages de la guerre
Tuant des peuples pour des mots ;
Où jamais votre chaste image
Ne se reflète dans des mers
Témoins de quelque grand naufrage,
Même aux jours des plus longs hivers ;
Où l’hymne heureux de la sagesse
Ne monte jamais jusqu’à vous
Que pour bénir dans sa tendresse
Un seul Dieu protecteur de tous ?
Ah ! si vous connaissez des rives
Fières de tous ces dons du ciel,
Tendez vos urnes fugitives
À leurs sources d’ambre et de miel ;
Franchissant l’ombre et les distances,
Rapportez-nous de leurs forêts
Quelque baume pour nos souffrances,
Filles des erreurs du progrès ;
Répandez-le dans vos rosées
Sur nos esprits et sur nos cœurs,
Pour que leurs forces épuisées
Se raniment sous nos sueurs.
Perdus dans le bruit que soulève
Le choc des partis de nos jours,
Nous poursuivons de rêve en rêve
Un bonheur qui nous fuit toujours.
Qui sait ce que Dieu nous destine ?
Tout est mystère autour de nous,
Quelquefois le ciel s’illumine,
Mais par la foudre et sous ses coups.
Nous voguons vers un autre pôle.
Et, depuis l’heure du départ.
Hélas ! la sonde et la boussole
Trompent la main ou le regard.
Pour soutenir notre courage,
Oh ! laissez-nous, de temps en temps,
Des bords où tend notre voyage
Respirer les parfums flottants,
Doux présages semés sur l’onde
Qui révèlent aux matelots
Qu’avec l’aurore un nouveau monde
S’éveillera du sein des flots.
Théodore WEUSTENRAED.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.