À un enfant endormi

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

John WILSON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Es-tu bien une terrestre et mortelle créature ? est-ce bien le sang de la vie vulgaire qui circule dans ces veines errantes et azurées, dont le cours sur ton front se perd sous l’ombre de tes cheveux dorés ? Oh ! cette respiration si douce, si aérienne, sort-elle du sein d’un être destiné à mourir ? La tombe a-t-elle quelque droit sur ces traits auxquels le sommeil donne tant d’éloquence ? Ou ne serais-tu pas plutôt, ce que ta beauté m’indique, l’ange d’un rêve bienheureux ?

Et pourtant je sens bien que tu appartiens à l’humanité. Je le sens à ces inquiétudes amères qu’éveillent en moi ton âge et ton innocence. Nous n’aimons qu’un instant ces créations que notre rêverie invoque, tandis que pour les choses vivantes notre cœur n’a point de solitude. Aussi la magie de ta vue a pénétré jusqu’au fond de mon âme, et n’y a laissé que des impressions belles et tranquilles comme ton sommeil.

Tes parents, je ne les connais pas. Qu’ils doivent être fiers de songer que tu leur appartiens ! Combien ils ont du s’aimer avant ta naissance, si après ils ne se sont pas aimés davantage ! Oui, si tes pareils te ressemblent, tu ne peux être que le rejeton d’une noble tige. Que ne donneraient pas pour te posséder ces époux solitaires sous ce toit où le sort a trahi les vœux de l’amour ! et qu’importerait que sur ton doux visage le sceau de famille ne leur dît point : « Voilà notre enfant » ? tu le serais bientôt devenu.

Oh ! qu’ils doivent être heureux ceux qui te contemplent tous les jours, qui te voient doucement leur sourire, dont l’oreille s’abreuve de la mélodie de ta voix ! Ô toi le plus tendre et le plus chéri des êtres, à ton aspect leur douleur s’efface..... et leur joie..... oh ! combien elle inonda leur âme à tes premiers accents, quand ton premier sourire... mais il me semble le voir même dans ton sommeil.

Oui, si frêle encore, tu es déjà fidèle à Dieu, à la nature, à l’amour : à Dieu dont le sanctuaire est dans ton innocence ; à la nature, dont tes peines comme tes plaisirs suivent les douces lois ; à l’amour... le monde conviendrait en te voyant que tu sais aimer. Est-il donc étonnant que même dans le sommeil ton front rayonne d’un si pur éclat ?

D’où vient l’extase où je te vois et cette lumière de la pensée qui dément ton âge ? Tu dors et tu souris, comme si ton âme était au ciel, comme si Dieu l’exauçait. Mais qui sait les visions d’ineffable gloire accordées aux rêves d’un berceau ? Dieu lui-même peut-il se choisir un trône plus beau que l’âme de l’enfant, avant que le vice ou l’erreur en ait terni la pureté ?

Oh ! maintenant tes sourires expriment un bonheur que je peux comprendre et partager. Ô douleur ! si tu te réveillais ! Je te vois jouer avec tes bons petits amis ; je te vois l’admiration et l’envie de tous. Dans le bois ou sur la prairie, ils t’avouent pour leur maître. Sans doute tu grandiras pour sentir mieux encore ce que sont l’amitié et l’amour.

Tu vivras, il le faut. La maladie n’aura point de prise sur toi. Oui, tu vivras pour l’honneur ; tu vivras pour être un jour la gloire et l’appui de ceux qui t’aiment aujourd’hui, pour diriger à ton tour la jeunesse naïve ; et quand viendra l’heure de mourir, tu iras au ciel mollement, comme l’harmonie d’une harpe éolienne qui s’évanouit si lentement qu’on ne sait quand le dernier son expire.

Rêve de beauté, pourquoi m’est-il interdit de redevenir aussi jeune, aussi pur que toi ? Vaine espérance ! L’iris radieux contemple, mais ne saurait braver les orages. La main du temps ternit les couleurs d’or de l’aile du phénix. C’est pour rappeler le voyageur au but de sa course que Dieu la sème de célestes visions : il m’a conduit où tu reposes.

Mais voilà ton sommeil qui va finir. Des rêves tumultueux t’agitent. Bientôt je verrai tes yeux surpris parcourir lentement le ciel, comme un enfant égaré. Que diras-tu quand ils rencontreront les regards d’un étranger ?

Tes traits étaient beaux comme l’aurore quand le sommeil les couvrait de ce voile qui cache et laisse voir à demi la lumière de l’âme ; mais ta paupière en se rouvrant a déchiré le voile en te laissant ta beauté.

La nature t’a doué d’une grâce involontaire et toujours active. Tel le miroir d’un lac tranquille se ride incessamment sous le souffle du zéphyr ; et dès qu’il a passé, l’eau réfléchit les cieux.

Esprit pur, tu ignores quel plaisir me donne ton doux regard ! Jamais pensée plus pure n’a pris naissance dans tes yeux. Tiens, montre-moi ton cœur. – Mais l’enfant est parti : il porte ailleurs la fierté de son innocence. En respirant l’air qui caressait ses joues, qui soulevait ses cheveux, je sens que si le sort nous sépare à jamais, il ne peut au moins m’arracher son souvenir.

 

 

John WILSON.

 

Traduit de l’anglais par C. C.

 

Paru dans la Revue poétique du XIXe siècle en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

 

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