Nuit V
Qu’est cette sainte nuit, qu’est cette solitude ?
C’est la divinité que l’on sent près de soi.
Bien rares les péchés que, tout seuls, nous aimons ;
le vice ensorceleur tombe et perd sa dorure,
et, comme tout objet, paraît noir dans la nuit.
Un athée, en la nuit, commence à croire en Dieu...
Salut, précieux moments pris sur l’obscur ravage
du temps assassiné ! Nuit propice, salut !
Loin du monde, la voix des passions apaisée,
ouvrant avec le ciel un tranquille entretien,
l’âme siège en conseil, médite le passé,
décrète l’avenir, et contemple, insensible,
la vie inquiète ; elle raisonne avec l’orage,
répond à ses mensonges, et assagit ses charmes.
Redoutable bonheur, liberté de l’esprit !
L’obscurité, pour moi, plutôt qu’une prison,
est, si l’on peut oser le dire, une retraite.
Délicieuse nuit ! En gerbes, les pensées
croissent spontanément, et fleurissent dans l’ombre,
tandis que le soleil les courbe et les flétrit.
Leur éclat vient d’ailleurs, du feu primordial,
source d’animation, d’où nous est descendue
Uranie ; et, céleste hôtesse, elle consent
à venir chaque soir près de moi, si petit !...
Il est vain de chercher en l’homme plus que l’homme.
Bien que fiers à promettre, et gonflés de sagesse,
l’expérience dompte notre orgueil. Et moi
qui, naguère, émergeant des ombres du tombeau
où le chagrin m’emprisonnait, sus parvenir
jusqu’au portail ouvert de la vie éternelle,
appelai les humains à la gloire, en l’éther
dépouillai ma douleur, mon être périssable,
et atteignis l’étoile, ici je sens mon âme
faillir, et, retombant du zénith, je m’écroule,
tel l’homme qu’empluma de cire la légende,
plongé dans le chagrin, sans m’y trouver perdu.
Infortuné, celui qui jamais ne pleura !
Dans le flot du chagrin, je vais chercher la perle,
alors que l’insensé qui ne veut que gémir
accepte la douleur en rejetant le gain,
l’inestimable gain ; de sorte que le Ciel
le rend plus malheureux sans le rendre plus sage.
Edward YOUNG.
Traduit par Roger Martin,
dans Les préromantiques anglais.
Recueilli dans La poésie anglaise,
par Georges-Albert Astre,
Seghers, 1964.