Le nom
Nomen, nobilitas.
Mon Fils, nous voici donc, à deux, dépositaires
Du Nom, d’un simple nom qui crée un grand devoir :
Ce nom n’est pas à nous, mais à faire valoir
Comme un fief, qui nous tient vassaux et tributaires.
Le Nom n’est pas à nous : au-dessus des tombeaux
Il vit, il veut s’étendre et prolonger la chaîne,
Vaincre encore et gagner des siècles, – tel qu’un chêne
Qui s’enfonce en racine et s’étale en rameaux.
Le Nom veut l’obstiné sacrifice ; il atteste,
Pour avoir survécu, prendre un air d’éternel,
Ce qu’il fallut de lutte et de don maternel :
Les générations tombent, mais le Nom reste.
Le Nom, qui nous revêt comme un commun blason,
Avec tous ceux du sang nous lie et nous embrasse :
Qui compromet le Nom discrédite sa Race,
Qui le tache et trahit souille et perd sa Maison.
Le Nom même sans lustre affirme sa noblesse
Un Nom, c’est le travail, la souffrance et l’honneur,
Quelques grains amassés d’un loyal moissonneur...
Mais un Nom, c’est surtout une immense promesse.
Mon Fils, prends en orgueil ton nom, ton nom discret
Que le père et l’aïeul avec tendresse ornèrent,
Et que tes piétés vaillantes le vénèrent
Pour les braves labeurs dont il sait le secret !
Souviens-toi de ton nom, mon Fils. Ton nom t’oblige.
Oh ! ne le laisse pas flétrir sans héritier,
Comme ces noms de morts que griffe l’églantier,
Dont chaque jour la pierre efface le vestige !
Le Nom veut que sur lui tour à tour nous veillions.
Quand j’aurai disparu, mon Fils, je t’en conjure,
Sache le soutenir, – lui faire une parure,
Un triomphe d’enfants, d’hymnes et de rayons !
Que notre pauvre Nom vive, monte et s’exalte !...
Et peut-être, comme l’arbuste fabuleux
Qui, dans son fier tourment des hauts infinis bleus,
Se travaille cent ans sur son sol de basalte,
Peut-être en un effort suprême, plus puissant,
Ce Nom, cet obscur Nom, que la foule néglige,
Offrira-t-il à Dieu sur quelque extrême tige
La Fleur pourpre, la Fleur glorieuse du Sang !
Gustave ZIDLER.
Recueilli dans Poètes de la famille au XXe siècle, Casterman.