L’oiseau vert et la princesse Fortunée

 

D’APRÈS UN CONTE ORIENTAL

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Eugène ACHARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a très longtemps, un roi très puissant et très aimé de ses sujets, régnait sur le royaume de Rothénie. Il possédait d’immenses richesses et donnait des fêtes magnifiques. Mais le peuple n’était pas oublié, chaque fois qu’il y avait fête au château, c’était fête dans tout le pays.

Il semblait donc que le roi fût très heureux, et cependant une peine secrète le rongeait. Il était marié depuis sept ans à une princesse qu’il adorait et il n’avait pas encore d’héritier.

Or il arriva que la guerre éclata avec le pays voisin. Le roi partit aussitôt à la tête de ses troupes après avoir fait ses adieux à la reine qui promit de penser à lui chaque jour et de prier pour le succès de ses armées.

Une nuit, pendant que le roi reposait sous sa tente, il eut un rêve dans lequel la reine lui apparut radieuse, portant un enfant dans ses bras. Le roi comprit que c’était un présage et que le ciel lui avait enfin accordé la grâce qu’il demandait depuis si longtemps. Il fut transporté de joie et sa vaillance s’en accrut. Il avait maintenant hâte de terminer la guerre et de rentrer en son palais afin de féliciter son épouse et d’embrasser le nouveau-né.

Aussi mena-t-il la lutte avec tant d’ardeur qu’en peu de jours, les rebelles vaincus vinrent offrir leur soumission et le roi rentra en triomphe dans sa capitale chargé de butin et de gloire.

Aussitôt le parcours terminé, il courut au palais et quelle ne fut pas son émotion lorsque la grande maîtresse des cérémonies lui présenta la jolie princesse qui venait de naître.

Le roi donna un baiser rapide à sa fille et se précipita vers la chambre de la reine ; mais au moment où il allait franchir le seuil, il fut arrêté par la première dame d’honneur.

– Embrassez encore une fois votre enfant, sire, c’est tout ce qui vous reste désormais au monde ; la reine est morte en lui donnant le jour.

Imaginer la douleur du roi est quelque chose d’impossible. Durant trois jours, il demeura auprès du lit de la morte, refusant toute nourriture. Il avait tout oublié, sa victoire et même son enfant. Il ne pouvait arracher ses regards de celle qui dormait là, sur son lit funèbre, et qui lui paraissait dans la mort, plus belle même que dans la vie. Un sourire d’ineffable bonheur errait encore sur ses lèvres par où son âme s’était échappée.

– Ma chère Ignès, déclara-t-il en pleurant, tu demeureras mon seul amour ; nulle autre ne te remplacera sur le trône, car je fais vœu de veuvage perpétuel. Je vivrai désormais pour l’enfant que tu m’as donnée.

Et il tint parole.

Mais comme dit la chanson, il n’y a pas de mal qui dure cent ans. Le roi finit donc par secouer sa mélancolie et résolut de revivre dans la petite princesse sa fille qui grandissait et se développait que c’en était un plaisir. Elle était choyée non seulement par son père qui lui passait tous ses caprices, mais encore par toute la cour. Aussi l’appelait-on la princesse Fortunée.

Cependant, loin d’être gâtée par toutes ces adulations, la princesse s’efforçait au contraire de les mériter en acquérant chaque jour de nouvelles qualités. Aussi quand elle eut accompli sa dix-huitième année, faisait-elle, tant par sa beauté que par son intelligence, l’admiration de tous ceux qui l’approchaient.

Le roi qui commençait à prendre de l’âge, crut que le moment était venu de faire proclamer sa fille princesse héritière. Toutefois, avant de lui céder le trône, il voulut qu’elle soit mariée.

Plus de cinquante courriers quittèrent à la fois la capitale, portant une invitation à tous les princes des royaumes environnants.

La renommée de la jeune princesse avait déjà couru le monde entier, de sorte qu’à peine les courriers furent-ils arrivés à destination, des délégations nombreuses se mirent à arriver chaque jour à la cour de Rothénie. Il n’y eut pas de prince, si faible et si gueux fût-il, qui ne se décida au voyage, sinon dans l’espérance d’être l’heureux élu, au moins pour voir et admirer une princesse dont la louange était dans toutes les bouches.

Tous rivalisèrent d’adresse aux joutes et aux tournois, aussi bien que de galanteries dans les fêtes qui se donnaient chaque soir au palais.

Cependant, la princesse les regardait d’un œil indifférent ; pas un qui réussît à faire battre son cœur ; elle agréait les hommages, souriait et se retirait sans donner la moindre espérance à aucun d’eux.

Les princes se désespéraient, le roi enrageait, mais qu’y faire ? À une remarque qu’il lui fit, elle répondit simplement :

– Mon cher père, vous êtes pour moi le modèle des rois, lorsque parmi tous ces princes qui aspirent à ma main, j’en aurai trouvé un qui vous ressemble, je l’épouserai. En attendant, permettez-moi de demeurer seule auprès de vous.

Or il arriva, par une belle matinée de printemps, que la princesse s’attarda dans son cabinet de toilette. Il devait se dérouler, au cours de la journée, un tournoi encore plus magnifique que tous les autres, et pour faire plaisir à son père, elle voulait y paraître à son mieux.

Mais tandis que sa dame d’honneur peignait ses longs cheveux, la fenêtre qui donnait sur le balcon fut subitement ouverte et un vent délicieusement frais vint porter aux deux femmes l’arôme des fleurs du jardin.

Toutes deux poussèrent un soupir ; la dame d’honneur s’était arrêtée, tenant dans ses mains le ruban de velours brodé d’or avec lequel elle se préparait à nouer les tresses blondes de sa maîtresse.

Et voilà qu’entra soudain un oiseau rare dont les plumes semblaient d’émeraude et dont le vol plein de grâce laissait en extase tous ceux qui le regardaient.

Ayant fait le tour du cabinet de toilette, il se lança délibérément sur la dame d’honneur, saisit dans son bec le ruban qu’elle tenait, le lui arracha et sortit à tire d’aile comme il était venu, emportant son butin.

Tout cela avait été si imprévu et s’était déroulé si vite que la princesse eut à peine le temps de voir l’oiseau ; mais sa beauté et son audace lui causèrent la plus étrange impression.

La dame d’honneur voulut se précipiter à la fenêtre et ordonner aux gardes de tirer sur l’oiseau voleur. La princesse l’en empêcha aussitôt :

– Laisse, dit-elle ; c’est sûrement un génie, car il en a toute la grâce et toute la beauté.

Peu de jours après, il y eut un grand bal à la cour. La princesse y parut plus gracieuse que jamais dans une toilette qui rehaussait encore sa beauté et les princes briguaient à l’envi la faveur d’une danse en sa compagnie. La princesse acceptait chaque cavalier en souriant. Ses pas harmonieux se soulevaient au rythme de la musique tandis qu’une écharpe rose, de gaze légère, flottait au-dessus de ses épaules.

– Princesse, osa lui dire l’un de ses cavaliers tandis qu’il la reconduisait à son trône, vous dansez à ravir ; mais comment se fait-il que parmi tous ces princes dont la plupart sont riches et puissants, aucun n’ait réussi à faire battre votre cœur ?

– C’est sans doute, répondit la jeune fille, que celui qui m’est destiné n’a pas encore paru.

Et voilà qu’en réponse à ces paroles, un bruit d’ailes se fit entendre : d’un vol rapide, l’oiseau vert arrivait. On aurait pu croire que son plumage était fait de pierres précieuses, car il jetait des éclairs. Ayant fait le tour de la salle, il vint droit à la princesse et, de son bec d’ivoire, saisit l’écharpe qu’il enleva.

Ce fut si rapide que personne n’eut même le temps de faire un geste pour l’empêcher, déjà l’oiseau avait disparu, emportant l’écharpe au fond des nues.

La princesse avait tendu les mains au moment où son voleur franchissait la fenêtre, elle poussa un cri et tomba évanouie.

Tous les princes se précipitèrent pour la secourir.

Quand elle revint à elle, ce fut pour s’écrier :

– Qu’on me cherche l’oiseau vert et qu’on me l’apporte. Et surtout qu’on ne le tue pas ; je le veux vivant.

Mais on chercha en vain. Plusieurs des invités, espérant gagner les faveurs de la princesse, battirent les buissons et parcoururent les bosquets, mais inutilement. Le lendemain, une autre équipe partit qui ne fut pas plus heureuse.

Et la princesse se désolait. Chaque nouvel échec augmentait sa déception. La nuit, elle ne pouvait dormir.

Un matin, elle se leva avec l’aurore et ayant pris avec elle sa demoiselle favorite, elle se dirigea vers l’endroit le plus épais du bosquet qui bordait le palais, là où se dressait le mausolée de sa mère.

– Ma chère maman, s’écria-t-elle, en pleurant, vois comme je suis malheureuse. À quoi me servent toutes mes richesses, mes parures et mes joyaux, si je ne puis posséder l’oiseau vert de mes rêves ? Oh ! ma chère maman, viens à mon secours.

Et tout en prononçant ces paroles, elle défit le cordon de son vêtement, tira de sa poitrine un riche médaillon où elle gardait une boucle des cheveux de sa mère et se mit à le baiser.

– Oh ! maman, ma chère maman ! s’écria-t-elle, viens à mon secours ; ramène auprès de moi, l’oiseau vert de mes rêves.

Et comme s’il avait entendu cet appel, l’oiseau vert accourut en effet, plus rapide que jamais. De son bec d’ivoire, il toucha les lèvres de la princesse, saisit le médaillon qu’elle baisait encore et d’un vol hardi autant que rapide, se perdit dans les nuages.

Cette fois, la princesse ne s’évanouit pas ; au contraire, elle devint toute rouge et dit à sa compagne :

– Regarde mes lèvres ; cet insolent oiseau les a blessées, car elles me brûlent.

La demoiselle d’honneur regarda plusieurs fois, mais ne vit aucune brûlure. Sans doute l’oiseau vert y avait-il déposé un poison subtil destiné à faire périr la princesse, car à partir de ce jour, on ne la vit plus reparaître.

En effet, la princesse s’affaiblissait par degré ; elle était tombée dans une langueur dangereuse ; une fièvre intérieure semblait la consumer et quand elle ouvrait les yeux, et prononçait quelques paroles, ce n’était que pour dire :

– Qu’on ne le tue pas ; qu’on me l’apporte vivant. Si on ne le retrouve pas, je mourrai.

Le roi était désespéré ; les plus habiles chasseurs avaient été engagés ; on avait offert des sommes énormes à qui pourrait capturer et apporter vivant l’oiseau mystérieux. Mais en vain, il demeurait toujours introuvable.

Les plus grands médecins furent aussi convoqués et durant quarante jours, ils se concertèrent entre eux. Ils prononcèrent de nombreux et savants discours.

À la fin, ils vinrent trouver le roi :

– Sire, lui dirent-ils, nous ignorons qui est l’oiseau vert, un simple oiseau ou le génie du mal.

Niais cette conclusion ne guérissait pas la princesse.

Or une des lavandières de la cour, celle qui était plus spécialement chargée de laver le linge de la princesse, revenait un soir de la rivière, portant dans sa corbeille le linge qu’elle avait lavé.

Arrivée à la moitié du chemin, elle remarqua qu’elle était en avance et comme elle se sentait fatiguée, elle s’arrêta au pied d’une petite pièce d’eau couverte de nénuphars pour se reposer tout en mangeant l’orange qui lui avait été remise pour son goûter.

L’ayant sortie de sa poche, elle s’apprêtait à l’éplucher, quand elle lui échappa des mains et se mit à rouler dans l’herbe avec une agilité étonnante.

Aussitôt, la jeune fille se leva et courut après pour la rattraper ; mais plus elle courait, plus l’orange roulait ; on aurait dit qu’un souffle magique l’emportait.

Fatiguée à la fin, la lavandière s’arrêta ; elle allait revenir sur ses pas, quand ayant levé la tête, elle se trouva en face d’une ouverture qu’elle n’avait jamais vue auparavant.

– Ce doit être une grotte, se dit-elle.

Et comme elle était curieuse de nature, elle y entra. Mais elle ne tarda pas à être prise de peur, car à mesure qu’elle avançait, l’obscurité devenait plus profonde. Elle allait même revenir sur ses pas lorsque, à un tournant, elle aperçut un faisceau de lumières étincelantes. De nouveau, la curiosité lui fit oublier sa peur et elle continua d’avancer. Et quelle ne fut pas sa surprise d’arriver en face d’un somptueux palais brillamment éclairé. Toutes les portes en étaient ouvertes, mais il semblait vide et il n’y avait ni gardes ni laquais.

Elle entra, sans se demander comment un si grand palais avait bien pu être creusé dans une grotte si petite et sans que cela parût à l’extérieur, car elle avait passé cent fois dans les parages et n’avait jamais rien remarqué.

Un somptueux escalier de marbre faisait suite à l’entrée, elle en gravit les marches, parcourut les salons qui étaient bien les plus riches qu’on pût imaginer, mais toujours sans rencontrer personne.

Ces salons néanmoins étaient illuminés à profusion par mille lampes d’or dont l’huile parfumée répandait la plus suave odeur.

La lavandière allait ainsi de l’une à l’autre quand son odorat fut attiré par un fumet délicieux de rôti. Elle poussa une porte et se trouva en effet dans la cuisine.

Là comme ailleurs, pas un être vivant. Cependant un repas succulent était en train de cuire.

Notre aventurière leva le couvercle d’une casserole : c’était un civet de lapin aux fines herbes. Elle en souleva un autre et vit un poulet rôti et farci avec des truffes. En un mot, il y avait là les mets les plus exquis, dignes de paraître sur la table d’un roi.

– Voilà qui tombe bien ! s’écria notre lavandière, je commençais à avoir faim et comme il n’y a personne ici pour faire honneur à ce magnifique menu, je vais me servir.

Aussitôt dit, aussitôt fait ; armée d’un couteau et d’une fourchette, elle se mit en devoir de découper une tranche de poulet.

Mais à peine avait-elle touché au rôti qu’elle reçut sur les doigts un violent coup donné par une main invisible. En même temps, une voix lui disait :

– Attrape ! cela t’apprendra à toucher aux mets réservés à Monseigneur le prince.

La pauvre lavandière déçue renouvela l’expérience sur quatre ou cinq plats différents, mais chaque fois la voix mystérieuse se faisait entendre et la main invisible frappait.

À grand-peine, la pauvre fille se résigna à se passer de dîner et sortit de la cuisine. Elle tâchait de tromper sa faim en parcourant les salons qui se succédaient les uns aux autres, mais où régnait toujours le même silence et la même solitude.

– Pourtant il y a quelqu’un ici, se disait-elle. Pourquoi se cache-t-il, celui qui m’a tapé sur les doigts ? J’aimerais lui parler.

La peur l’avait complètement quittée, mais tout ce mystère continuait à l’intriguer.

Et voilà qu’ayant poussé une porte aux dorures magnifiques, elle arriva dans une chambre à coucher d’une élégance sans pareille. Deux ou trois lumières seulement, mais enfermées dans des vases d’albâtre, répandaient une lumière voilée et qui invitait au sommeil.

Il y avait dans cette chambre un lit si commode et si moelleux qu’elle ne put résister à la tentation de s’y étendre pour se reposer un peu.

– Puisque je ne puis pas manger, je vais au moins dormir un peu, se dit-elle.

Mais à peine y était-elle montée qu’elle sentit par tout son corps un fourmillement de piqûres comme si on lui enfonçait un millier d’aiguilles sous la peau.

En même temps, la même voix que tout à l’heure lui disait :

– Comment oses-tu te coucher dans le lit réservé à Monseigneur.

Elle bondit, dépitée et furieuse en s’écriant :

– Drôle de palais tout de même, où l’on ne peut ni manger ni dormir sans se faire battre. Il ne me reste plus qu’à m’en aller.

Et elle se mit à faire le tour de la chambre, ne retrouvant pas la porte par où elle était entrée. Ayant soulevé une tapisserie, elle en découvrit une enfin, mais ce n’était pas la même. Elle la poussa à tout hasard et se trouva dans un escalier de marbre en colimaçon avec une rampe d’argent.

Curieuse plus que jamais, elle gravit les marches, poussa une autre porte et se trouva soudain dans une serre toute inondée de lumière qu’on aurait cru venir du soleil, car il n’y avait aucune lampe, ni au plafond ni ailleurs ; il n’y avait non plus aucune fenêtre, mais le plafond revêtait les teintes de l’azur comme s’il avait été le ciel lui-même.

Au milieu de la serre se trouvait un énorme bassin qu’on aurait dit taillé dans un bloc de topaze limpide et transparent. Du fond de ce bassin jaillissait un jet d’eau gigantesque dont les gouttes retombaient multicolores et parfumées. De plus, en tombant, elles produisaient une harmonie musicale qui aurait fait penser à un orchestre invisible, jouant en sourdine.

La lavandière s’absorbait à contempler ces beautés dans une sorte d’extase quand elle entendit un bruit invisible ; en même temps, elle vit s’ouvrir une porte qu’elle n’avait pas encore remarquée.

À peine eut-elle le temps de se cacher derrière une masse de verdure, qu’elle vit entrer trois oiseaux très rares et très jolis dont l’un portait un plumage vert et brillant comme une émeraude.

– Mon Dieu ! murmura-t-elle, voilà l’oiseau qui est cause de la mélancolie de la princesse.

Et se rappelant la forte somme offerte pour sa capture, elle fit un pas en avant. Mais elle se retint, voulant savoir ce qui allait se passer.

Les deux autres oiseaux, quoique moins merveilleux, ne manquaient pas non plus de beauté.

Tous trois marchèrent vers le bassin, y entrèrent et se mirent à nager, décrivant des ronds de plus en plus petits. À la fin, quand ils furent arrivés au centre, ils plongèrent d’un commun accord.

Ils demeurèrent si longtemps sous l’eau, que la jeune fille commençait à se demander s’ils ne s’étaient pas noyés. Mais soudain elle vit sortir à leur place, trois beaux jeunes gens, revêtus de costumes somptueux. Sans doute l’onde était-elle enchantée, car bien qu’ils sortissent de l’eau, ils n’étaient pas mouillés du tout.

L’un d’eux, le plus beau des trois, portait sur la tête un diadème d’émeraude et il était honoré par les deux autres comme le serait un roi.

La lavandière put suivre les trois jeunes gens sans être vue et même entendre une partie de leur conversation. Elle comprit que le plus beau des trois jeunes gens était le prince héritier du royaume de Pangolie et les deux autres, l’un son écuyer et le second son secrétaire. Elle comprit aussi que tous trois étaient victimes d’un enchantement et ne pouvaient recouvrer leur forme humaine qu’une fois le soleil couché et après s’être baignés dans la fontaine.

Tout en causant familièrement, ils étaient entrés dans la salle à manger où aussitôt le repas fut servi par des mains mystérieuses et invisibles. La lavandière remarqua que le jeune prince touchait à peine aux mets qui lui étaient servis ; il se montrait mélancolique, exhalant de temps à autre de profonds soupirs.

Enfin, il repoussa du geste les derniers plats.

– Qu’on m’apporte la cassette du souvenir, demanda-t-il.

Aussitôt, le secrétaire se leva, quitta la salle et revint bientôt portant une cassette de palissandre aux fermoirs d’or incrustés de diamants et d’escarboucles.

Le prince l’ouvrit et demeura un bon moment à contempler ce qu’elle contenait. À la fin, il y plongea la main et en retira un ruban de velours que la lavandière reconnut aussitôt pour être celui de sa maîtresse.

– Ah ! cher ruban de ma Dame, s’écria le prince, comme tu m’es précieux ; car tu me rappelles celle qui règne uniquement sur mon cœur. Hélas ! quand la reverrai-je, maintenant que les trois épreuves sont terminées et ne peuvent plus se renouveler. Peut-être va-t-elle épouser l’un des nombreux princes qui lui font la cour ; alors, je n’aurai plus qu’à mourir.

Ayant exhalé ces paroles, il replaça le ruban dans la cassette et en sortit une élégante écharpe de gaze. Il la baisa de même en s’écriant :

– Ah ! douce écharpe de ma Dame, comme tu me rappelles le souvenir de ma bien-aimée. Ah ! comme je voudrais être auprès d’elle en ce moment. Hélas ! un sort injuste m’en tient séparé.

Ce fut au tour du précieux médaillon, il le tira de la cassette, le considéra quelques instants et le couvrit de baisers.

– Oh ! comme tu m’es précieux, s’écria-t-il, toi qui as reposé si longtemps sur son cœur. Ah ! si tu pouvais lui dire l’amour qui me consume.

Peu après, le prince et ses deux familiers se retirèrent chacun dans leur chambre, pour la nuit. La lavandière se trouva seule dans la salle à manger auprès de la table magnifiquement servie. Toutefois, malgré sa faim impérieuse, elle n’aurait pas touché aux mets, si la même voix qui l’avait réprimandée tout à l’heure ne l’eût invitée à s’asseoir dans le fauteuil du prince et à contenter son appétit.

Elle ne se fit pas prier, comme vous le pensez bien. Mais elle avait sommeil aussi et sans savoir comment, elle s’endormit profondément.

Quand elle s’éveilla, il faisait grand jour ; mais elle n’était plus dans le fauteuil du prince ; elle se trouvait en pleine campagne, près de la même pièce d’eau où elle s’était assise pour se reposer et manger l’orange de son goûter. L’orange était là encore et aussi le linge dans sa corbeille.

– Si tout cela n’est qu’un rêve, s’écria-t-elle, il faut avouer que c’est un rêve bien arrangé. Mais si c’était la réalité, je voudrais bien retourner au palais du prince de Pangolie, dussé-je y rester à son service jusqu’à la fin de mes jours. Comment faire pour retrouver l’entrée de la grotte ?

Elle eut alors l’idée de jeter l’orange sur le sol et de la suivre, comme elle avait fait au commencement.

Mais l’orange roulait un peu, puis s’arrêtait comme font toutes les oranges que l’on jette ou que l’on échappe par terre.

Dépitée, la jeune fille l’ouvrit, la partagea en morceaux et put se rendre compte qu’à l’intérieur, elle était comme toutes les oranges qu’elle avait mangées jusqu’ici.

Elle ne doutait plus maintenant avoir été le jouet d’un rêve.

Mais juste comme elle allait se lever pour partir, elle aperçut l’oiseau merveilleux qui venait de se poser sur une branche, tout près d’elle ; si près, qu’en étendant la main, elle aurait pu le saisir.

– Non, se dit-elle, ce n’est pas un rêve que j’ai eu... à moins que je sois encore en train de rêver. Quoi qu’il en soit, j’irai trouver la princesse et je lui raconterai tout. Même si j’ai rêvé, les rêves ne sont-ils pas le présage de la réalité !

Quand la princesse Fortunée entendit le récit de la lavandière, quand elle comprit que son cher oiseau était en réalité un jeune prince beau et aimable, quand elle connut l’ardent amour qu’il nourrissait pour sa personne, elle pensa s’évanouir.

– Maintenant, s’écria-t-elle, je puis justement m’appeler la princesse Fortunée, puisque j’ai trouvé celui qui est digne de posséder mon cœur.

– Madame, fit remarquer la lavandière, je suis sûre que ce jeune prince est digne de vous, mais pour moi qui ne suis pas princesse, je me contenterais bien de l’écuyer, il est, lui aussi, un fort bel homme et à vrai dire, je l’ai beaucoup plus regardé que le prince.

– Tu l’épouseras, dit la princesse et ma demoiselle d’honneur, si cela lui plaît, épousera le secrétaire. Mais ce qui importe tout d’abord, c’est de briser l’enchantement qui les retient tous les trois prisonniers. Il n’y a pas un moment à perdre.

Dès ce moment, la princesse transfigurée ne pensa plus qu’à l’accomplissement de son projet.

Or elle avait entendu dire qu’au fond du désert qui bornait le royaume de Rothénie, vivait un ermite fameux, une sorte de devin dont la science dépassait de beaucoup celle de tous les autres savants de la contrée. Il avait, assurait-on, le don de pénétrer la destinée et pouvait l’interpréter à son gré.

La princesse lui envoya donc sept savants fameux, chargés de lui remettre de riches présents. Ils devaient aussi lui demander par quel moyen on pouvait rompre l’enchantement qui retenait prisonnier le prince de Pangolie.

Les sept savants revinrent au bout d’un mois, porteurs d’une lettre fermée de sept sceaux et que seule la princesse devait ouvrir.

Celle-ci, toute tremblante d’émotion, brisa les sept sceaux et déroula le parchemin. Mais jugez de son étonnement et de sa peine quand elle constata que tout le message était écrit en caractères inconnus que ni elle, ni aucun des savants ne pouvaient déchiffrer.

On fit alors appel aux interprètes officiels du royaume, mais tous déclarèrent qu’il s’agissait là d’une langue inconnue ; que si elle était parlée, ce devait l’être dans un très lointain pays.

La princesse fit alors annoncer qu’une somme très importante serait remise à quiconque pourrait déchiffrer les caractères mystérieux. Plusieurs se présentèrent, mais aucun ne réussit.

Désespérée, la princesse prit alors un grand parti. Le lendemain, le roi son père trouva sa chambre déserte avec, sur sa table, une lettre ainsi conçue :

 

« Ne me cherche pas, mon cher père, et ne prétends pas connaître où je vais. Qu’il te suffise d’apprendre que je me porte bien et ne cours aucun danger. Mais tu ne me reverras pas tant que je n’aurai pas réussi à déchiffrer la lettre mystérieuse et trouvé le moyen de délivrer mon bien-aimé de l’enchantement qui le retient loin de moi. J’emmène avec moi ma demoiselle d’honneur et la jeune lavandière que tu sais ; à nous trois nous saurons vaincre tous les obstacles. À bientôt mon, cher père. »

 

Or il y avait, à une courte distance de la capitale, une forêt très épaisse et que l’on disait hantée par les esprits. Au centre de cette forêt, se trouvait un désert aride et rocheux. Personne ne se risquait dans ces solitudes, personne sauf un ermite qui avait choisi l’une des cavernes pour en faire son habitation. Il vivait là, assurait-on, depuis plus d’un siècle ; la mort semblait avoir perdu sur lui son empire. Et pourtant il s’imposait de dures pénitences en expiation des erreurs de sa jeunesse, alors que, brillant cavalier, il ne connaissait d’autre loi que son caprice.

Mais sans doute Dieu lui avait-il depuis longtemps pardonné car, si l’on en croyait la rumeur publique, il lisait dans les consciences, annonçait les évènements futurs et avait accompli de nombreux miracles.

C’est auprès de ce saint ermite que la princesse avait résolu de se rendre. Seule, avec ses deux suivantes, elle était partie à pied, car aucun véhicule n’aurait été capable de traverser cette forêt semée d’obstacles et coupée de fondrières où, à tout instant, l’on risquait de s’enliser. Et les obstacles matériels étaient-ils encore le moindre empêchement ; des génies malfaisants hantaient ces lieux et, au dire de ceux qui vivaient dans les alentours, s’attaquaient aux voyageurs assez hardis pour pénétrer dans leur royaume.

Mais Fortunée était décidée à vaincre tous les obstacles ou à mourir, la vie ne lui étant plus rien désormais si elle ne pouvait la vivre aux côtés de celui que son cœur avait élu.

Durant sept jours et sept nuits, les trois pèlerines errèrent dans cette solitude redoutable ; elles marchaient le jour parmi les ronces et les broussailles, et la nuit, elles s’abritaient au creux de quelque rocher. Pour toute nourriture, elles avaient les baies qu’elles pouvaient cueillir en chemin.

Le soir du septième jour, elles sentirent qu’elles touchaient enfin le but, car le paysage se montrait plus abrupt et plus désolé que jamais.

Ayant découvert une caverne profonde au sol couvert de sable fin, elles se disposaient à y passer la nuit, quand, au fond, elles aperçurent une lumière et auprès, l’ermite lui-même, à genoux, en prières. Elles se demandaient comment elles pourraient bien l’aborder quand l’une d’elles, ayant fait un faux pas, une pierre se dégagea et vint rouler jusqu’aux pieds de l’ermite.

Celui-ci se leva aussitôt. Sa longue barbe descendait sur sa poitrine, plus blanche que la neige ; mais la peau de son visage était aussi ridée qu’une pomme séchée ; tout son corps ressemblait à un squelette revêtu de sa peau ; seuls ses yeux annonçaient la vie car ils brillaient comme deux escarboucles.

Ayant aperçu les étrangères, il leur lança un regard pénétrant.

Fortunée fut sur le point de défaillir et déjà elle se retournait pour s’enfuir quand le souvenir de son beau prince retenu prisonnier lui donna du courage. Elle s’avança et présenta sa requête.

Aussitôt, le regard de l’ermite s’adoucit et sa bouche esquissa un sourire.

Il prit le papier, le considéra un instant et le lut avec attention.

– Je vois, dit-il, c’est la lettre que vous a fait remettre mon frère, le Sage du désert de l’Herbe Sèche. J’étais averti de votre visite, mais je ne vous attendais pas si vite. Or, sachez que si mon frère vous a fait remettre une lettre en caractères cabalistiques, c’est qu’il voulait éprouver votre constance. Vous avez donc bien fait de venir me voir.

Toutefois, je ne peux rien ce soir, il me faut passer la nuit en prières et demander au ciel qu’il me donne la puissance nécessaire. Retournez donc à l’entrée de la caverne, regardez vers la droite, vous y trouverez un couloir qui mène à un appartement meublé où vous pourrez vous reposer et dormir, vous et vos deux compagnes ; vous y trouverez aussi de la nourriture pour apaiser votre faim.

Allez, au cours de la nuit, lorsque Sirius sera au-dessus de nos têtes, je pourrai communiquer, par son intermédiaire, avec mon frère du désert de l’Herbe Sèche. Revenez demain, au lever du soleil, et je vous ferai connaître comment vous pourrez délivrer le jeune prince de son enchantement.

La princesse et ses compagnes se retirèrent toutes joyeuses, après avoir remercié l’ermite. À l’entrée de la grotte, elles trouvèrent le couloir qu’elles n’avaient pas remarqué tout d’abord ; elles y entrèrent et arrivèrent aux appartements réservés où elles passèrent la nuit.

Le lendemain, au lever du soleil, elles étaient de nouveau auprès de l’ermite. Celui-ci les reçut avec bonté ; il les fit asseoir et dit à Fortunée :

– Ma chère enfant, j’ai relu et médité longuement la lettre de mon frère, le Sage du désert de l’Herbe Sèche ; j’ai aussi communiqué avec lui par le moyen de Sirius.

Malheureusement nous ne pouvons ni l’un ni l’autre vous révéler le secret de l’Oiseau Vert. Seule votre mère peut vous faire connaître son identité et vous dire en même temps comment vous arriverez à l’épouser.

À ces mots, la pauvre princesse éclata en sanglots :

– Hélas ! s’écria-t-elle, je ne le saurai jamais ; ma mère est morte en me donnant le jour et si je puis pleurer sur son tombeau, je n’ai jamais eu le bonheur de contempler son visage.

L’ermite regarda la princesse avec compassion.

– Je connaissais la mort de votre mère, répondit-il ; mais n’avez-vous pas vous-même invoqué son secours ? Du séjour où elle habite, elle peut encore vous parler et vous faire connaître ce que vous avez à faire.

– Comment arriver jusqu’à elle ? demanda la princesse.

– Il y a, non loin de votre palais, un sage, un prophète que vous ne connaissez pas parce qu’il se manifeste rarement en public. Mais sa puissance est grande ; il peut évoquer l’âme de votre mère et faire paraître devant vous l’apparence de son corps tel qu’il était au temps de sa vie sur la terre. Allez le voir de ma part. Passez avec lui une nuit en prière et, au matin, votre mère vous parlera.

La princesse et ses deux suivantes quittèrent donc l’ermite pour retourner au palais en toute hâte.

Dès le lendemain de son arrivée, Fortunée s’enquérait de la demeure du prophète et le soir même, elle s’y rendait, toujours accompagnée de ses deux suivantes.

Le Sage les reçut dans une salle qui avait les proportions et l’apparence d’un temple. Un immense rideau de velours rouge en occupait tout le fond ; au milieu, un trépied de bronze, rempli de braise ardente, laissait échapper une fumée d’encens qui embaumait les alentours.

Le saint homme, ainsi que les trois jeunes femmes, passèrent la nuit en prière. Toutes les heures, le prêtre se levait et allait renouveler la provision d’encens sur le brasier.

Et voilà qu’au moment où parut le premier rayon de l’aurore, il s’éleva comme un grand vent ; le rideau fut secoué et s’ouvrit, tiré par deux mains invisibles.

Alors la fumée clé l’encens parut comme un nuage de lumière et dans ce nuage se dessina peu à peu la forme d’une jeune femme ; ce fut d’abord une vision incertaine mais peu à peu, les traits se précisèrent. Le prêtre se leva, prit la main de la princesse et, lui désignant l’apparition, lui dit :

– Voici votre mère, telle qu’elle était de son vivant.

– Oh ! maman, s’écria Fortunée en tombant à genoux, comme vous m’avez manqué tout au long de ma vie.

– Le ciel l’a voulu ainsi, ma chère enfant, répondit l’apparition, mais de loin, j’ai veillé sur toi et j’ai eu la joie de te voir prendre constamment le bon chemin. Aujourd’hui, tu vas être récompensée. Réjouis-toi, le ciel va te donner l’époux que tu as mérité.

– Le prince ? demanda la Fortunée éperdue de bonheur.

– Oui, le prince ; nul n’est plus digne de monter avec toi sur le trône, que le prince de Panoglie. Déjà, à la cour de son père, il faisait l’admiration de tous par ses vertus, son esprit et sa loyauté. Le Prince des génies, qui l’avait pris en affection, avait voulu se charger lui-même de son éducation ; il voulait en faire un prince parfait.

Malheureusement, le roi de Pangolie mourut subitement. Le jeune prince aurait dû lui succéder sur le trône, mais le Khan de Tharancore, frère du défunt, réussit à le supplanter et se fit couronner à sa place.

Bien plus, craignant chaque jour une révolution qui rétablirait le jeune prince dans ses droits, il décida de le faire mourir. Heureusement le roi des génies fit échec à ce projet.

Alors, le Khan eût recours à trois sorciers très puissants et ceux-ci, après de nombreuses incantations, réussirent à changer le jeune prince en oiseau ; deux de ses amis qui lui étaient demeurés fidèles jusqu’au bout, furent également transformés.

Ainsi donc le Khan put occuper le trône sans crainte de se le voir enlever par l’héritier légitime. Certes les Pangoliens aimaient beaucoup leur prince, mais ne sachant ce qu’il était devenu, ils l’oublièrent peu à peu. Aujourd’hui, personne ne se souvient plus de lui au royaume de Pangolie.

Cependant, le roi des génies avait pu obtenir que l’enchantement cesserait tous les soirs au coucher du soleil et qu’il cesserait même tout à fait, le jour où une princesse royale ne l’ayant vu que trois fois sous sa forme d’oiseau, s’éprendrait pour lui d’un amour assez fort pour lui offrir son cœur et sa couronne. Malheureusement cette épreuve ne pourrait se renouveler que trois fois, mais pour en assurer le succès, le roi des génies obtint, comme dernière faveur, que le prince fût incarné dans le plus merveilleux oiseau qui eût jamais existé. De plus, il lui donna pour demeure, son propre palais qui est celui que votre compagne a visité au cours de son rêve.

Et les années passèrent. Or sous sa nouvelle forme d’oiseau, le prince de Pangolie demeurait au courant des évènements qui se passaient dans le monde et lorsque les jeunes princes s’assemblèrent à la cour de votre père, il voulut s’y rendre lui aussi. Il s’était imaginé que ce serait là un simple passe-temps, mais vous ayant vue, il s’éprit pour vous d’un si grand amour qu’il décida sur-le-champ de courir sa chance et de vous conquérir tout en retrouvant sa forme naturelle.

C’est la raison pour laquelle l’oiseau vert s’est présenté à vous trois fois de suite. Il ne peut plus revenir maintenant et croit vous avoir perdue à jamais.

– Mais je l’aime, s’écria la princesse, comment le lui faire savoir ?

La voix s’était subitement arrêtée. Fortunée leva les yeux ; l’apparition avait disparu. Le nuage lui-même avait cessé d’être lumineux et le voile s’était refermé.

– Maman, oh maman ! s’écria Fortunée en se tordant les mains.

– Votre mère est retournée au séjour des Bienheureux, lui dit le prophète, en la relevant. Mais soyez sans crainte, les évènements vont suivre leur cours, si vous savez les seconder.

– Comment le pourrai-je, si je n’ai personne pour me guider, s’écria Fortunée.

– Prenez cet anneau ; il a le pouvoir de rendre invisible celle qui le porte ; je vais en donner un semblable à chacune de vos deux compagnes.

Toutes les trois, vous vous rendrez au palais du prince. Arrivées à la porte principale, vous la toucherez de votre anneau ; aussitôt la porte s’ouvrira ; ainsi en sera-t-il des portes intérieures. Ayant traversé toutes les salles, vous irez vous placer près du bassin de topaze.

Quand les trois oiseaux arriveront pour le bain, vous ne ferez aucun geste ni ne prononcerez aucune parole.

Lorsque la transformation aura eu lieu et que les trois jeunes gens, revenus à leur forme naturelle, se dirigeront vers la salle à manger, vous les suivrez et vous assoirez à table à côté de celui que vous aurez choisi pour votre époux. Vous ne toucherez à aucun plat, mais lorsque le prince aura demandé sa cassette et qu’il s’écriera :

– Voilà le ruban de ma Dame. Hélas ! quand la reverrai-je maintenant ?

Vous enlèverez l’anneau de votre doigt et vous le passerez au doigt du prince. Aussitôt vous deviendrez visible et avant qu’il ait eu le temps de faire un mouvement, vous l’embrasserez sur la joue gauche en disant :

– Me voici, mon prince, votre enchantement est terminé, car je vous aime plus que tout au monde.

Vos deux compagnes agiront de même avec le convive qu’elles auront choisi.

Allez et que le bonheur soit votre partage, car vous l’avez bien mérité par votre constance. Puissiez-vous le conserver toujours.

Les trois pèlerines s’en allèrent donc et à quelques jours de là, ayant passé à leur doigt l’anneau magique, elles se tenaient toutes les trois auprès du bassin de topaze.

Tout arriva ainsi qu’il avait été prédit par le prophète.

Dès que la princesse tout émue eut arraché l’anneau de son doigt et l’eut passé au doigt du prince, celui-ci l’aperçut, mais avant qu’il ait le temps de faire un mouvement, elle lui avait posé, sur la joue gauche, un timide baiser tandis qu’elle lui disait :

– Me voici, mon prince ! Votre enchantement a cessé car je vous aime plus que tout au monde.

À ce moment même, dans le palais royal de Pangolie, le Khan poussait un grand cri et tombait mort sur les marches du trône qu’il avait usurpé.

L’enchantement venait de cesser et les deux compagnons du prince étaient aussi délivrés.

La princesse emmena le jeune homme à son père et celui-ci le trouva si beau et si bien fait qu’il ne regretta plus le long délai que sa fille lui avait imposé.

Les noces furent donc décidées ainsi que celles des deux suivantes. Les trois cérémonies eurent lieu le même jour et jamais auparavant avait-on vu fête plus magnifique.

Les trois couples furent parfaitement heureux : Le secrétaire et la dame d’honneur devinrent grands maîtres du palais tandis que l’écuyer et la lavandière étaient faits l’un grand chambellan et l’autre, dame d’atours.

 

 

Eugène ACHARD,

L’oiseau vert et la princesse Fortunée,

Librairie générale canadienne, 1956.

 

  

 

 

 

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